L'économie du câble en France : Synthèse de l'étude
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Avertissement L’Autorité a commandé une étude au Cabinet JLM Conseil afin d’être éclairée sur l’économie du marché du câble en France. Dans un souci de transparence et d’information ouverte elle a décidé de rendre publique cette étude. La méthodologie utilisée et les résultats obtenus sont de la seule responsabilité de JLM Conseil et n’engagent pas l’Autorité. Les parties intéressées sont invitées, le cas échéant, à faire part de leurs commentaires à l’ART. |
Ce document est un résumé des principaux développements du tome 1 de l’étude de JLM Conseil sur le câble. Il en reprend la structure en six chapitres.
Parmi les 23,5 millions de foyers français équipés d’un téléviseur, près de 10 millions sont abonnés à une offre de télévision payante, soit un peu plus de 42% du total. Ce marché se compose de trois grands segments : les abonnés au câble, au satellite et à Canal+ en mode hertzien analogique. Canal+ reste d’ailleurs le premier opérateur avec plus de 3 millions d’abonnés hertziens individuels, loin devant CanalSatellite (2,1 millions d’abonnés), TPS (1,1 million), ou les câblo-opérateurs, certes forts de 3,5 millions d’abonnés, mais dont le plus important, Noos, ne compte qu’un peu plus d’un million d’abonnés. Toutefois, le rappel de l’importance de la chaîne premium hertzienne historique ne doit pas occulter la forte progression du satellite, qui rapproche le taux de pénétration combiné des deux plate-formes satellitaire TPS et CanalSatellite de celui des câblo-opérateurs, pourtant apparus dix ans avant la numérisation du satellite débutée en 1996 (cf. graphique).
Source : Aform, opérateurs
Au 31 décembre 2001, les réseaux des câblo-opérateurs
en France comprenaient 11,5 millions de prises à terme (ou prises
potentielles) et 8,5 millions de prises commercialisables, privilégiant
naturellement les zones à forte densité de population. Aujourd’hui
près de 37% des foyers sont déjà physiquement raccordés
à un réseau câblé, et près de 50% devraient
être raccordés au terme de la construction de tous les réseaux.
Un peu plus de 3,4 millions de foyers sont comptabilisés par
les opérateurs du câble comme abonnés à un
service de télédistribution, soit approximativement
13% du total des foyers français et 40% des foyers raccordés
physiquement à un réseau câblé. Ce taux élevé
inclut une forte minorité d’abonnés au " service
antenne " (près d’un million de foyers), c’est-à-dire
de foyers pour lesquels le câble sert uniquement à transporter
les signaux des chaînes hertziennes, parfois augmentées d’un
canal local. De plus, fin 2001, la réception des services de
télévision numériques, dont la commercialisation
a débuté en décembre 1996, concerne seulement
20% des foyers abonnés au câble.
Si les connexions à bas débit de type RTC restent majoritaires en France, les abonnements à des offres d’accès Internet haut débit par le câble ou l’ADSL se développent, surtout depuis la fin de l’année 2001. Introduite fin 1999, la technologie de l'ADSL, bénéficiant d'une couverture plus large de la population, s’est rapidement imposée : au 30 juin 2002, les services d'accès à Internet par le câble comptaient 233 579 abonnés, alors que l'ADSL atteignait à cette date le niveau de 650 421 abonnements individuels (soit 73,5% de part de marché) ; le cap du million d’abonnés ADSL a été franchi fin 2002.
Le marché du câble en France compte près de cinquante opérateurs. Parmi eux, se détachent quatre acteurs nationaux majeurs, implantés sur plusieurs régions et couvrant ensemble les 20 plus grandes villes françaises. A eux quatre, ces opérateurs comptabilisent au 30 juin 2002 plus de 92% des prises commercialisables du câble en France, et près de 90% des abonnés (tous services). En termes d'étendue de réseau et de parc d'abonnés, Noos est le premier câblo-opérateur français.
Parts de marché des câblo-opérateurs par segment d’activité |
|||||||
Au 30 juin 2002 |
Valeur absolue |
Noos |
FT Câble |
NC Numéricâble |
UPC France |
Autres |
Total |
Prises commercialisables |
8 687 822 |
33% |
18% |
26% |
15% |
8% |
100% |
Abonnés tous services |
3 545 166 |
30% |
24% |
21% |
15% |
10% |
100% |
Abonnés TV |
3 403 659 |
30% |
24% |
22% |
13% |
10% |
100% |
Abonnés numériques |
741 561 |
54% |
19% |
24% |
1% |
2% |
100% |
Abonnés Internet |
233 579 |
55% |
20% |
10% |
8% |
7% |
100% |
Abonnés téléphone |
58 434 |
3% |
0% |
0% |
97% |
0% |
100% |
Le chiffre d'affaires de la câblodistribution atteint 692,9 millions d'euros pour l'année 2001. Depuis 1998, il est largement dépassé par le chiffre d'affaires de la diffusion par satellite, laquelle atteint 1 142,3 millions d'euros en 2001. Cette différence s’explique principalement par l’absence sur le satellite d’équivalent au service antenne du câble.
Evolution du chiffre d’affaires des câblo-opérateurs français |
|||||
(en millions d'euros) |
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
2001/2000 |
Noos |
136,2 |
185,6 |
201,0 |
227,9 |
+13,4% |
France Télécom Câble |
173,8 |
175,0 |
164,0 |
172,0 |
+4,9% |
NC Numéricâble |
119,7 |
126,8 |
136,0 |
141,0 |
+3,7% |
UPC France |
3,7 |
29,1 |
71,6 |
93,7 |
+30,8% |
Est Vidéocommunication |
nd |
22,7 |
26,4 |
30,6 |
+15,8% |
Autres (estimation) |
27,3 |
32,9 |
34,8 |
27,7 |
-20,4% |
Total |
460,6 |
572,1 |
633,8 |
692,9 |
+9,3% |
Le câble ne représente que 2% du chiffre
d'affaires global du secteur des télécommunications
en France. Comparé au chiffre d’affaires des autres activités
de l’audiovisuel, le poids économique du câble reste assez
faible :
- 3,7% du chiffre d'affaires total
du secteur audiovisuel ;
- 3,9% du chiffre d'affaires du marché
de la télévision (câblodistribution, diffusion satellite,
télévision hertzienne, chaînes thématiques
et locales).
Les câblo-opérateurs ne sont, de ce fait, pas en mesure
de peser sur le développement de l'offre de programmes des chaînes,
ni de participer pour eux-mêmes à la compétition
pour l'acquisition exclusive des droits audiovisuels du sport et du
cinéma.
3 Le câble en Europe et aux Etats-Unis
L’étude des conditions de l’exploitation du câble dans d’autres pays apporte certains éclairages sur la situation du câble en France. Malgré la disparité des situations nationales, tous les câblo-opérateurs sont en effet soumis depuis quelques années aux mêmes tendances de fond : la numérisation des réseaux, l’arrivée de nouvelles applications, et l’intensification de la concurrence des autres technologies (du satellite, de la télévision numérique terrestre et de l’ADSL).
Deux grands modèles d’organisation du marché peuvent être distingués : celui où le câble peut apparaître comme le vecteur de diffusion principal des contenus télévisés (cas des marchés à fort taux de pénétration), et celui où au contraire le câble n’est qu’une technologie secondaire, voire marginale, par rapport aux alternatives disponibles sur le marché.
en décembre 2001 |
Belgique |
Etats-Unis |
Allemagne |
Suède |
Part des foyers raccordés au câble |
97,8% |
93,5% |
84,6% |
80,0% |
Part des foyers abonnés au câble |
96,5% |
69,0% |
66,7% |
69,9% |
Nombre d'abonnés au câble |
3 680 000 |
72 958 180 |
22 100 000 |
2 490 000 |
Pénétration commerciale |
98,7% |
73,8% |
78,8% |
87,4% |
en décembre 2001 |
Royaume-Uni |
France |
Espagne |
Italie |
Part des foyers raccordés au câble |
52,8% |
35,2% |
16,7% |
7,1% |
Part des foyers abonnés au câble |
15,3% |
14,0% |
4,0% |
0,8% |
Nombre d'abonnés au câble |
3 770 000 |
3 375 209 |
480 000 |
170 000 |
Pénétration commerciale |
29,0% |
39,7% |
24,0% |
11,7% |
A l’exception du Royaume-Uni qui constitue un cas à part, les pays où le câble bénéficie de la pénétration de l’abonnement dans les foyers la plus élevée sont ceux où le taux de couverture par les infrastructures est le plus élevé. Ces marchés se caractérisent par un taux de pénétration commerciale du câble supérieur à 50% des prises raccordables, toutes activités confondues. Il s’agit du marché du câble aux Etats-Unis, et en Europe, de ceux de l’Allemagne, de la Belgique, des Pays-Bas et de la Suède (entre autres). Aux Etats-Unis, le câble représente le mode de réception majoritaire de la télévision avec près de 73 millions de foyers abonnés fin 2001 (plus des deux tiers des foyers américains). Le câble américain génère un chiffre d’affaires annuel de 43,66 milliards de dollars, ce qui fait des Etats-Unis de loin le premier marché mondial du câble.
L’examen des marchés étrangers sur lesquels le câble a connu son plus fort développement permet de faire émerger un certain nombre de caractéristiques qui favorisent la rentabilité des opérateurs :
- L’ancienneté de l’implantation du câble.
Les pays où le câble bénéficie des taux de
pénétration les plus importants sont ceux où les
câblo-opérateurs commercialisent leurs services depuis
le plus longtemps. Le câble y a été introduit alors
que les technologies de diffusion alternatives comme le satellite étaient
peu développées. Il offrait souvent une meilleure qualité
de réception que la diffusion hertzienne. Un développement
progressif à l’abri de la concurrence a alors permis aux
câblo-opérateurs d’amortir leur investissement initial
dans les infrastructures sans être frappés par un endettement
excessif. A contrario, un lancement trop tardif du câble,
dans un contexte de dérégulation déjà avancée,
ne trouve pas de justification : en Italie, les projets de
construction de réseaux câblés des années
1990 ont été rapidement interrompus lorsqu’il s’est avéré
qu’il serait plus efficient de substituer le satellite au câble.
- Le déploiement du réseau requiert des investissements
importants qui ne peuvent être rentabilisés qu’à
long terme. Plusieurs facteurs interviennent dans la détermination
du coût des infrastructures : l’étendue du réseau
à construire, le choix de la technologie employée
(HFC, RC2, VHF…), et les conditions de pose du câble (enterré
en France ou aérien aux Etats-Unis). L’étalement dans
le temps des travaux, en donnant la priorité, aux zones les plus
densément peuplées est aussi un élément
à prendre en compte.
- Egalement important pour l’économie de la câblodistribution,
le système de répartition des revenus entre les distributeurs
et les éditeurs de chaînes varie selon les pays. Aux
États-Unis, le taux de pénétration du câble
est suffisamment élevé pour que les opérateurs
soient parfois en mesure d’exiger le versement d’une redevance de la
part des chaînes (thématiques) elles-mêmes, qui paient
pour faire partie du service de base, ou du service de base étendu.
En revanche, l’organisation du marché du câble dans d’autres
pays prive les opérateurs de revenus associés à
leur stratégie de diffusion de contenu : alors qu’aux États-Unis,
les opérateurs bénéficient d’une part des revenus
issus de l’abonnement des ménages et d’autre part des sommes
versées par les chaînes, les câblo-opérateurs
européens paient à leurs fournisseurs des redevances significatives
pour la retransmission des contenus. En Allemagne, par exemple,
les abonnés paient une redevance fixe aux câblo-opérateurs
à laquelle s’ajoute une redevance payée aux chaînes
pour le contenu. Le câblo-opérateur n’est donc pas rémunéré
pour la fourniture de services ce qui explique le faible revenu moyen
par usager. Les obligations de must-carry contraignent par ailleurs
les câblo-opérateurs à diffuser gratuitement les
programmes de base des services audiovisuels. Les opérateurs
intervenant sur des marchés pour lesquels l’offre de programmes
premium est fortement concentrée entre les mains d’un acteur
puissant, comme BskyB au Royaume-Uni, ont tout intérêt
à essayer de développer des services non télévisuels.
Des opérateurs comme NTL et Telewest ont ainsi vu dans la
téléphonie le seul moyen de différenciation stratégique
à leur disposition sur leur marché de référence
(respectivement 44% et 69% de leurs abonnés souscrivent à
plus d’un service).
Sur la quasi-totalité des marchés européens, les câblo-opérateurs doivent faire face à la concurrence des plates-formes numériques de télévision par satellite et, parfois, de la télévision numérique terrestre. La qualité des services, la diversité des contenus et les prix pratiqués qu’elles pratiquent sont souvent très attractifs : ils limitent les marges de manœuvre tarifaires des câblo-opérateurs et augmentent les coûts d’achat de programmes qu’ils doivent supporter pour rester compétitifs. En moins de dix ans, le satellite s’est donc imposé sur certains territoires comme l’infrastructure dominante sur le marché télévisuel à l’instar de l’Angleterre (BskyB en 1990), de l’Italie (Telepiù en 1996) et de l’Espagne (Canal Satellite Digital et Via Digital en 1997). Indépendamment du niveau de maturité de chaque marché, il apparaît que l’arrivée des applications interactives du câble a eu un impact très significatif sur les comptes des opérateurs. Le passage au numérique nécessite de la part des câblo-opérateurs des investissements considérables dans la remise à niveau des infrastructures de réseaux et dans la subvention des décodeurs afin de rendre la transition plus accessible aux ménages. Or aujourd’hui la demande de services numériques concerne principalement des offres d’accès haut débit à Internet, les offres des bouquets numériques n’ayant pas suscité un intérêt décisif de la part des foyers. L’équilibre économique que certains étaient progressivement parvenus à atteindre dans le cadre d’une activité de télédistribution simple en mode analogique a été rompu par les investissements associés à l’introduction des nouveaux services, et sa restauration suppose un important travail d’adaptation de la part des opérateurs. Autre élément ayant eu un impact négatif sur le développement de la câblodistribution, la chute générale des cours de bourse a particulièrement touché les opérateurs, la confiance des investisseurs étant affectée par leurs difficultés financières et la faible rentabilité du secteur. La décote a été accentuée par le dégonflement de la bulle spéculative autour des valeurs liées aux technologies d’information et de communication. La chute des cours a contribué à alourdir le financement des investissements et des dettes. Surtout, elle reporte les projets d’augmentation de capital ainsi que de consolidation par rachats d’opérateurs, retardant d’autant la perspective d’une restructuration des marchés américain et européens.
La décision de développer le câble en France fut prise au début des années 1980 sous l’égide de la Direction Générale des Télécommunications du Ministère des PTT. Le Plan câble prévoyait le câblage en dix ans de 52 des principales villes de France, avec l’objectif de poser 10 millions de prises, le tout pour un coût estimé à 20 milliards de francs de l’époque (plus de 3 milliards d’euros).
Le paysage audiovisuel français a connu une transformation complète en dix ans, entre 1982 à 1992. Le lancement du Plan câble en 1982 coïncide avec l’annonce de la création d’une quatrième chaîne hertzienne payante, et la mise en service des premières tranches de réseau du Plan câble suit de quelques mois le début de la diffusion des cinquième et sixième chaînes hertziennes : la demande du public d’une plus grande variété de programmes fut donc pour une grande part satisfaite sans investissements technologiques, alors que le câble fut dans ses premières années une technologie sans programmes.
Les promoteurs du Plan câble firent aussi le choix très ambitieux de réseaux en fibre optique en étoile, prévus pour transporter des applications interactives pour lesquelles il n’existait pas à l’époque de terminaux de réception adaptés. Le volontarisme technologique du projet se traduisit par des coûts très importants, amplifiés par la maîtrise approximative de la construction de réseaux en fibre : dans de nombreux cas, pour tenir les délais et ne pas trop dépasser l’enveloppe budgétaire d’origine, les réseaux 100% fibre prévus à l’origine devinrent des réseaux mixtes fibre / câble coaxial.
La mise en place du câble en France a aussi évolué : l’accumulation des difficultés techniques pour la pose des réseaux du Plan câble a amèné le gouvernement à modifier en profondeur le régime de la construction et de l’exploitation des réseaux câblés (dans la loi sur la liberté de communication du 30 septembre 1986).
La réglementation applicable aux activités de câblodistribution comporte certaines obligations devenues aujourd’hui difficiles à justifier, et qui contribuent aux difficultés d’exploitation des opérateurs du câble :
- Le seuil des 8 millions de personnes :
cette règle selon laquelle les réseaux d’un même
opérateur ne sauraient couvrir cumulativement plus de huit millions
de personnes fut introduite par la loi du 30 septembre 1986 afin de
favoriser la concurrence entre opérateurs. Elle ne s’applique
pas aux autres modes de distribution de télévision de
complément, le satellite et la télévision numérique
terrestre (pas plus qu’à la fourniture d’accès à
Internet via l’ADSL), et serait difficile à mettre en œuvre pour
les câblo-opérateurs étant donné les disparités
entre l’étendue des réseaux exprimée en prises
raccordables et le dénombrement individuel retenu par la loi.
Cependant, le maintien de cette règle bloque les éventuels
projets de fusion des opérateurs, et limite les possibilités
de rationalisation des plaques par l’échange de réseaux.
- Le régime de la concession de service public :
la loi du 30 septembre 1986 entérine le principe de l’initiative
locale de la construction des réseaux câblés, et
permet aux collectivités d’équilibrer en leur faveur
la relation nouée avec les câblo-opérateurs,
en exigeant d’eux le respect de clauses de service public (versement
d’une redevance, financement d’un canal local…). Du point de vue des
câblo-opérateurs, ces clauses alourdissent le coût
de construction des réseaux, sans générer de recettes
supplémentaires en contrepartie (même s’il est défendable
que les canaux locaux peuvent inciter certains habitants à s’abonner
au câble). Toutefois, le reproche principal des opérateurs
au régime de la concession de service public est la grande
difficulté pour eux de valoriser auprès d’investisseurs
potentiels des infrastructures dont ils n’ont pas la pleine propriété.
L’amélioration des conditions d’exploitation du câble nécessitera
à un moment ou à un autre une réforme du régime
de la concession de service public, sans doute à l’occasion de
la transposition des textes du paquet télécom.
- Le contrôle des plans de service par les collectivités
locales : la loi du 30 septembre 1986 avait prévu que
l’exploitation des réseaux câblés soit autorisée
par le CSA " sur proposition des communes ou groupements de
communes ", ce qui supposait un droit de regard des collectivités
d’implantation des réseaux sur l’évolution de l’offre
de services. Bien que largement tombée en désuétude,
cette disposition est un frein à la réactivité
des câblo-opérateurs par rapport aux attentes du public
ou à l’évolution de l’offre des éditeurs de chaînes ;
elle complique aussi les tentatives d’unification des plaques (un réseau
physique continu avec une seule tête de réseau pour desservir
un groupe de communes voisines).
La propriété et la gestion des infrastructures de réseau
Le Plan câble prévoyait que l’ensemble des réseaux câblés seraient construits par la DGT, ancêtre de France Télécom, qui en garderait la propriété. En ouvrant le marché du câble aux acteurs privés, sous le régime de la concession de service public, la loi du 30 septembre 1986 a introduit un régime hybride dans lequel un même opérateur peut être en charge de la gestion technique et commerciale d’une infrastructure qu’il construit et entretient lui-même, ou distribuer des services sur une infrastructure louée à France Télécom. Cette situation pose deux types de difficultés aux câblo-opérateurs qui ne sont pas encore sortis du Plan câble : elle complexifie les relations avec les abonnés, en obligeant le câblo-opérateur à déléguer à un tiers les interventions matérielles sur le réseau, pour résoudre des problèmes de connexion par exemple ; elle alourdit nettement les charges d’exploitation des câblo-opérateurs, en les obligeant à verser un loyer dont les conditions de détermination ne paraissent pas transparentes (par exemple, le prix correspond-t-il seulement à l’utilisation actuelle du réseau, ou une partie de son montant est-elle destinée à amortir l’investissement initial du Plan câble ? et dans ce cas, quid des dépréciations d’actifs successives intervenues dans les comptes de France Télécom). Au delà, la survivance du Plan câble pose le problème des limites de l’activité d’un opérateur historique de télécommunications : France Télécom est aujourd’hui propriétaire de deux boucles locales dans beaucoup de grandes villes françaises (Lyon, Marseille, Bordeaux…), ce qui entraîne une distorsion de concurrence. Il est d’ailleurs significatif de constater qu’en 2000, le déploiement de l’ADSL a eu lieu en priorité dans les villes où le câblo-opérateur local souhaitait commercialiser un service d’accès à Internet par le câble.
La question du nombre de prises disponibles : les câblo-opérateurs se plaignent de ne pas toujours connaître exactement le nombre de prises effectivement construites et opérationnelles sur chacun de leurs réseaux. Les limitations techniques des réseaux eux-mêmes (points de terminaison comportant un nombre de prises fixes quel que soit le nombre de logements à desservir), l’étalement dans le temps de la pose des réseaux, et la constitution de réseaux par croissance externe contribuent à cette incertitude. Les opérateurs disposant de la propriété de leur réseau s’efforcent d’améliorer leur connaissance de leurs infrastructures, qui influe directement sur l’efficacité des actions de promotion commerciale (notamment celles qui impliquent le démarchage à domicile des prospects). Les opérateurs soumis au régime du Plan câble ont aussi des difficultés à connaître la quantité exacte de prises opérationnelles sur les réseaux que leur loue France Télécom, qui figure une variable importante du calcul du coût annuel de mise à disposition des infrastructures par l’opérateur historique. L’importance de l’écart entre le nombre de prises comptabilisées par les câblo-opérateurs et la réalité du terrain est cependant impossible à évaluer avec précision ; certains câblo-opérateurs avancent une proportion de 10% du total des prises raccordables, soit environ 850 000 prises de moins par rapport aux chiffres annoncés.
La numérisation du câble et les nouveaux services
Le développement du satellite numérique s’est accompagné de la multiplication du nombre de chaînes disponibles, mettant en lumière les limitations de la câblodistribution analogique. La numérisation des réseaux est apparue comme un impératif stratégique pour les câblo-opérateurs, afin de rester compétitifs par rapport à la concurrence du satellite, et de se positionner sur les marchés émergents de l’accès Internet haut débit et de la téléphonie. Cette évolution a un coût important, exprimé par les travaux de mise à niveau des réseaux et surtout, par l’achat de décodeurs numériques destinés à être loués aux abonnés. Or, l’appétence des consommateurs pour le câble numérique et les nouveaux services s’est révélée moins importante que prévu, et les premières commandes de décodeurs numériques de la fin des années 1990 ont mis plus longtemps que prévu à être écoulées. En outre, la numérisation des réseaux a été la source de problèmes techniques qui dans certains cas ont nui à l’image des câblo-opérateurs (en particulier pour les services Internet). Ces difficultés font que les câblo-opérateurs continuent pour certains à commercialiser un bouquet analogique (NC Numéricâble, et UPC), ou tentent d’étaler dans le temps la conversion des abonnés au numérique (Noos, FTC). Les services analogiques constituent en effet des offres plus faciles à exploiter pour les opérateurs (pas de décodeur à amortir, facturation simplifiée par rapport au numérique à la carte), et une source stable de revenu.
L’enjeu de la transition de l’analogique au numérique pour les câblo-opérateurs est d’autant plus crucial que la télédistribution restera leur principale source de revenus pour l’avenir prévisible. Les services d’accès à Internet par le câble comptent moins de 250 000 abonnés, et les services téléphoniques ne sont aujourd’hui proposés que par un seul opérateur (UPC France, avec 50 000 abonnés). Les premières offres d’accès Internet des câblo-opérateurs ont souffert de problèmes techniques importants qui amenèrent beaucoup d’abonnés de la première heure à se tourner vers l’ADSL lorsque France Télécom commença à le commercialiser fin 1999. Les câblo-opérateurs ont mis en place récemment une nouvelle stratégie de commercialisation de forfaits bas débit (mais avec le bénéfice d’une connexion permanente) ou " moyen débit ", destinés aux abonnés aux services de télévision, en complément de leur bouquet de chaînes. Par ailleurs, la câblo-téléphonie souffre de plusieurs handicaps, dont le plus important est le recours par les opérateurs à une commutation par circuit : ne disposant pas encore de technologies " tout IP ", leurs services ne peuvent s’affranchir durablement des infrastructures de France Télécom.
Les relations avec les éditeurs de chaînes et le statut spécifique de Canal+
L’assemblage de bouquets de chaînes à la fois attractifs et intéressants pour les prospects réclame un savoir-faire spécifique que les câblo-opérateurs ont mis du temps à acquérir, compte tenu notamment de la culture industrielle ou financière de leurs actionnaires, de l’absence de contenus exclusifs à forte valeur ajoutée propre au câble (le football et le cinéma en première diffusion étant historiquement réservés à Canal+), et du petit nombre de chaînes thématiques disponibles au cours des premières années du câble. Sur ce point, l’offre n’a véritablement explosé qu’après le lancement des bouquets satellite numériques en 1996. La profusion de l’offre amène d’ailleurs les câblo-opérateurs à commercialiser sur les réseaux numériques des offres à la carte, dans lesquelles les téléspectateurs sélectionnes les chaînes de leurs choix dans le cadre d’une enveloppe budgétaire définie à l’avance. Du point de vue des éditeurs de chaînes, ce système n’est pas le plus intéressant, car il les oblige à consentir des efforts de marketing directement auprès des prospects, alors que l’inclusion de leur chaîne au sein d’un bouquet diversifié analogique ou numérique met ces efforts à la charge du câblo-opérateur. La persistance des bouquets analogiques est d’ailleurs très intéressante pour les chaînes qui en font partie : compte tenu de leur stabilité et du petit nombre de chaînes qui y sont référencées (15 à 20, contre plus de 100 chaînes potentiellement accessibles aux abonnés numériques), ces bouquets contribuent plus à l’audience des chaînes et leur permettent souvent de percevoir des redevances plus élevées de la part des opérateurs.
Contrairement aux Etats-Unis et à d’autres pays, où le montant des abonnements aux chaînes premium est partagé de façon plus ou moins équitable entre les éditeurs de chaînes et les câblo-opérateurs, Canal+ bénéficie en France d’un statut spécifique qui ne profite pas aux opérateurs du câble. Transportée gratuitement en analogique dans le cadre de la règle du must carry des chaînes hertziennes (c’est-à-dire bénéficiant exactement du même statut que TF1 ou France 2), la distribution numérique de Canal+ échappe en grande partie aux câblo-opérateurs. En effet, les cartes à puce utilisées pour activer les décodeurs, programmées et mises à jour en fonction du type d’abonnement souscrit par les abonnés au câble, comportent un compartiment crypté séparé, réservé à l’accès à Canal+, indépendamment de toute intervention des câblo-opérateurs. Canal+ gère donc directement la relation avec ses abonnés du câble numérique, et se contente de verser une somme modeste (inférieure à 2,5 euros par mois) aux câblo-opérateurs, afin de contribuer à l’amortissement du décodeur (dont elle profiterait sinon gratuitement). La distribution de Canal+, chaîne premium de référence, ne contribue donc pas significativement au chiffre d’affaires des câblo-opérateurs, qui de ce fait n’ont aucun intérêt à en faire la promotion. Dès lors, tout un pan de stratégie marketing fondé sur la combinaison des avantages de Canal+ et du câble numérique reste inexploré (comme des offres combinées Canal+/Internet haut débit, ou Canal+/mini-bouquet thématique à la carte, etc.), alors que ces initiatives pourraient peut-être aider à améliorer le taux de pénétration du câble. Les difficultés de Canal+ pourraient cependant amener la situation à évoluer, en favorisant la recherche de synergies avec les câblo-opérateurs, après un accord en vue d’une répartition plus équilibrée des recettes de la chaîne.
Le marketing et les relations avec les abonnés
Le choix des bons outils de recrutement des prospects est très important dans le cas du câble. L’éclatement territorial des réseaux empêche les opérateurs de recourir aux médias les plus puissants (télévision) et leur communication promotionnelle passe essentiellement par du hors média (affichage et boîte aux lettres). On peut constater que les câblo-opérateurs locaux bénéficient en général de taux de pénétration supérieurs à la moyenne, dus en partie à leur enracinement local et à leur stratégie de contact direct avec les prospects. Les réseaux dispersés des grands câblo-opérateurs les ont incité à centraliser la relation clientèle dans les années 1990 (centres d’appels), mais les résultats mitigés de cette approche les amènent aujourd’hui à la compléter par une présence sur le terrain (boutiques, démarchage à domicile). Par ailleurs, les offres des câblo-opérateurs sont souvent plus complexes que celles des opérateurs du satellite, avec plus de niveaux d’abonnement différents, ou des offres différenciées en fonction des réseaux (même si les grands câblo-opérateurs ont consenti des efforts très importants pour unifier leur proposition commerciale, en particulier pour les services numériques). La gestion du parc d’abonnés existants est souvent complexe. Les modifications de l’actionnariat, le rachat de nouveaux réseaux, la cohabitation d’abonnés analogiques et numériques, etc., ont conduit à une prolifération des statuts et des catégories d’abonnés, ce qui augmente les risques d’erreurs de facturation et complique la communication des opérateurs.
La loi sur l’audiovisuel du 1er août 2000 comporte des dispositions relatives à la mise en place d’une offre de télévision numérique terrestre.
La procédure de sélection des services de télévisions appelés à occuper les canaux réservés à la diffusion numérique terrestre, lancée par le CSA en juillet 2001, a franchi une étape très importante avec la publication en octobre 2002 d’une liste de 23 chaînes retenues, qui se partageront les 22 canaux réservés à l’offre privée (11 autres canaux accueilleront les chaînes publiques et locales). Le franchissement progressif des étapes juridiques du lancement de la TNT (publication des décrets d’application de la loi du 1er août 2000, appel à candidatures du CSA) ne doit pas masquer les importants obstacles techniques et commerciaux dont dépend le lancement effectif de la TNT.
- Le premier de ces obstacles tient à la nécessité
de procéder à de très nombreux réaménagements
de fréquences analogiques avant de démarrer la diffusion
numérique. D’après l’Agence nationale des fréquences,
le coût de ces travaux serait compris entre 44 et 84 millions
d’euros, en fonction de l’ampleur des interventions à conduire
chez les particuliers. Cette première vague de réaménagements
de fréquences ne concerne que la réception analogique :
elle a pour objectif de s’assurer que les téléspectateurs
continuent à recevoir les signaux de la télévision
analogique après le démarrage de la TNT.
- La deuxième vague d’aménagements techniques concerne
de ce fait la réception numérique proprement dite,
avec probablement des interventions sur plusieurs millions d’antennes
individuelles ou collectives, afin de les orienter en direction des
émetteurs ou de les remplacer totalement pour les plus anciennes
d’entre elles. Le montant de ces travaux se chiffrerait aussi en dizaines
de millions d’euros.
- Enfin, le troisième grand obstacle au lancement de la TNT
est l’absence à ce jour de candidat à la fonction d’opérateur
commercial des chaînes payantes de l’offre. Compte tenu de
l’importance de son parc d’abonnés hertziens, Canal+ pourrait
avoir intérêt à être l’opérateur commercial
de la TNT, pour accélérer la migration de ses propres
clients vers le numérique, en particulier ceux qui ne veulent
pas ou ne peuvent pas souscrire un abonnement à CanalSatellite.
Ce scénario fut sérieusement envisagé en 2001 par
le Groupe Canal+, avant d’être abandonné suite aux graves
difficultés financières du groupe et de son actionnaire
Vivendi Universal. A l’heure actuelle, il n’existe pas de candidat
déclaré à la commercialisation de la TNT payante,
or cet acteur sera le mieux placé pour fédérer
les efforts de communication autour de la télévision numérique
terrestre, dont le concept et le potentiel restent encore flous
pour une grande majorité des Français.
La résolution des questions techniques et commerciales en suspens ne garantit d’ailleurs en aucun cas le succès de la télévision numérique terrestre auprès du grand public. L’échec des formules de commercialisation de la TNT dans d’autre pays d’Europe témoignent de la difficulté d’imposer un mode de diffusion supplémentaire lorsqu’existent déjà des opérateurs prêts à satisfaire la demande de programmes des consommateurs via les technologies plus efficaces du câble et du satellite.
L’argument souvent avancé de la gratuité des programmes de la TNT ne résiste pas à un examen poussé, d’une part parce que les programmes gratuits ne seront en définitive pas très nombreux, d’autre part parce que le modèle économique de la diffusion numérique gratuite est risqué pour les chaînes de complément. En effet, celles-ci devront engager jusqu’à 4 millions d’euros par an pour la diffusion numérique de leur signal, soit une somme considérable pour des chaînes dont le budget est compris entre 12 et 30 millions d’euros pour la grande majorité d’entre elles, et en l’absence les premières années de toute contrepartie de chiffre d’affaires (publicité ou redevances d’abonnement) compte tenu de la faiblesse des effectifs des ménages équipés pour la réception TNT.
Du point de vue des câblo-opérateurs, le lancement de la TNT pose deux difficultés majeures :
- Le brouillage des fréquences des réseaux
câblés : le problème est voisin de celui
du brouillage de la télévision analogique par la TNT,
à cette différence près que les possibilités
de réaménagement de fréquences des réseaux
câblés sont limitées. Il pourra arriver que
le plan de fréquences numérique soit saturé. Dans
ce cas, la seule solution pour l’opérateur brouillé consistera
à numériser entièrement son réseau
pour gagner de la bande passante grâce à la compression
numérique du signal. L’opération suppose l’achat et
la distribution de décodeurs à tous les anciens abonnés
analogiques des réseaux brouillés : une dépense
évaluée à 100 millions d’euros par l’Aform,
et que les câblo-opérateurs ne peuvent pas se permettre
aujourd’hui.
- La règle du must carry des chaînes numériques
terrestre en clair par les réseaux câblés introduite
par le décret du 31 janvier 2002. Cette règle obligera
les câblo-opérateurs soit à modifier profondément
l’économie de leurs bouquets numériques, en particulier
les bouquets bon marché d’entrée de gamme créés
pour attirer de nouveaux abonnés, soit les poussera à
différer le plus longtemps possible la numérisation
des abonnés analogiques pour se soustraire à ces obligations
de transport, quitte à se priver d’autres sources de revenus
(vidéo à la demande, services interactifs, accès
Internet…).
L’Union européenne a publié en 2002 une série de directives qui réforment le cadre réglementaire des télécommunications. Ces textes ont pour principal objectif la mise en place d’un régime juridique commun pour l’établissement et l’exploitation de tous les réseaux de télécommunications, indépendamment de la nature des technologies mises en œuvre. La transposition des directives en droit français devrait donc amener à aligner le régime spécifique du câble sur celui des autres réseaux de télécommunications, et à appliquer aux câblo-opérateurs les innovations des directives :
- Le régime d’autorisation générale :
suppression de la nécessité d’obtenir une autorisation
préalable à l’établissement de réseaux de
télécommunications électroniques et à la
fourniture de services de communications électroniques. Pour
le câble, cela signifie la disparition du rôle d’initiative
des collectivités locales dans la construction des réseaux,
et son transfert aux opérateurs eux-mêmes
- Le régime des droits exclusifs et des droits spéciaux
accordés aux entreprises de télécommunications :
selon les directives, la réglementation interne d’un Etat membre
ne doit plus avoir pour conséquence de rendre plus difficile
l’exploitation d’un type de réseau de communications électroniques
par rapport à un autre, ou de limiter le nombre d’entreprises
exploitant de tels réseaux. L’application au câble de
ce principe suppose donc la révision de plusieurs aspects de
la réglementation française : l’exclusivité
territoriale des réseaux câblés, la limitation à
huit millions d’habitants de la couverture des câblo-opérateurs,
la remise en cause du régime de la concession de service public,
et enfin le contrôle des plans de services par les collectivités
locales.
- Les obligations de diffusion : la mise en œuvre des règles
du paquet télécom devrait nécessiter une harmonisation
de l’étendue de l’obligation de transport de chaînes
(must carry), qui actuellement diffère en fonction de la technologie
de diffusion considérée (câble, satellite, TNT).
Par ailleurs le paquet télécom subordonne la légalité
de ces obligations à des " objectifs d’intérêt
général clairement définis " : la
procédure de transposition doit fournir l’occasion d’un débat
sur la notion d’intérêt général appliquée
à l’audiovisuel.
Les points problématiques de l’environnement concurrentiel, réglementaire et de l’exploitation du câble analysés dans cette étude soulignent la nécessité de changements structurels pour le secteur. Les scenarii esquissés ici représentent des approches très contrastées, une solution de marché, une solution politique et réglementaire, et a contrario, les conséquences du statu quo. Les deux scenarii de rupture ont pour objectif principal d’éliminer définitivement les séquelles du Plan câble, et de créer un cadre favorable à l’amélioration des performances opérationnelles des câblo-opérateurs ou des fournisseurs de services exploitant les réseaux câblés.
Ce scénario comporte plusieurs variantes, classées en fonction de leur difficulté financière et de leur faisabilité à réglementation constante. L’option la plus simple consiste à rationaliser les réseaux par échange de plaques, afin de favoriser le regroupement des opérateurs en grands ensembles régionaux, avec une facilitation des opérations de maintenance et de commercialisation des prises. Au niveau des grandes agglomérations, il s’agirait de confier à un opérateur unique la gestion du réseau de la ville-centre (souvent créé dans le cadre du Plan câble) et de celui de la périphérie, apparu plus tardivement, sous le régime de la concession de service public. Les échanges de plaques ont l’intérêt d’être réalisables dans le cadre de la réglementation actuelle, au moins en ce qui concerne les réseaux concessifs (plus de difficultés pour les réseaux du Plan câble), mais ne présentent pas les mêmes avantages pour tous les acteurs : Noos est particulièrement intéressé par un recentrage sur l’Île-de-France, mais les opérateurs des villes de province ne voient pas de gains évidents à l’abandon de leurs réseaux franciliens. Pour prendre tout son sens, l’opération d’échange de plaques devrait impliquer la totalité des acteurs du câble, plutôt que se dérouler via une succession d’opérations bilatérales.
Une deuxième option serait la consolidation entre eux des acteurs actuels du câble, après la suppression des obstacles réglementaires à la fusion. Les avantages d’une fusion sont assez nets en ce qui concerne les coûts d’exploitation du câble : marketing et communication, pouvoir de négociation accru avec les fournisseurs de contenu, service après-vente… La question de la propriété des réseaux du Plan câble serait au centre du processus de consolidation. En tout état de cause, en dehors d’un très hypothétique rapprochement entre Noos et UPC France, les options de consolidation placeraient France Télécom au cœur de l’actionnariat du nouvel ensemble (France Télécom possède 27% du capital de Noos, 100% de France Télécom Câble, et 70% des prises exploitées par NC Numéricâble), or, la perspective d’une position hégémonique de France Télécom sur le marché du câble n’est pas acceptable pour les autorités de régulation (à Paris et à Bruxelles), elle n’est pas non plus envisageable stratégiquement pour le groupe. La fusion suppose donc la cession préalable ou simultanée des réseaux du Plan câble à NC Numéricâble et à France Télécom Câble, puis une sortie programmée de France Télécom du capital de France Télécom Câble.
La place centrale de France Télécom dans le processus amène à la troisième et dernière option, qui correspond à la consolidation des acteurs existants par un nouvel entrant, qui apporterait des capitaux frais et diluerait la part des actionnaires actuels du câble dans le capital de l’entité fusionnée. Le problème majeur est ici la pénurie de candidats au rachat du câble français, dans un contexte de très forte diminution des valorisations des actifs des entreprises de médias et de télécommunication. Les fonds d’investissements ne semblent pas convaincus par le câble français (contrairement à d’autres pays : Allemagne, Pays-Bas…), notamment dans ses aspects réglementaires (concession de service public). Les acteurs industriels candidats au rachat ne sont pas non plus nombreux ; certains, comme Liberty Media, pourraient éventuellement s’intéresser au dossier, mais font passer d’autres objectifs stratégiques devant le rachat de tout ou partie du câble français, ou attendent la clarification de la réglementation des télécommunications pour décider de leur prochain mouvement (opérateurs de télécommunications alternatifs : LDCom, Télécom Développement, etc., ou éventuellement un investisseur institutionnel comme la Caisse des Dépôts).
Ce scénario a pour principe la reprise de l’ensemble des infrastructures physiques du câble par un opérateur unique (" Câble de France "), qui assume la responsabilité de leur entretien, de leur numérisation et de leur extension, sous le contrôle de l’autorité de régulation. Cette entité commercialise ensuite la bande passante des réseaux à tous les fournisseurs de services de télédistribution, d’accès à Internet ou de télécommunications agréés par les autorités de régulation compétentes (CSA ou ART), dans des conditions de transparence des tarifs.
Les travaux d’interconnexion des plaques, de mise à niveau des réseaux et de spécification d’un décodeur interopérable seraient pris en charge par Câble de France, en liaison avec les fournisseurs de services et de contenus. L’idée est de proposer à ces fournisseurs un accès unifié aux 8,5 millions de prises raccordables installées actuellement. L’objectif serait d’ouvrir le marché du câble à de nouveaux entrants, éditeurs de chaînes, fournisseurs d’accès à Internet, etc. qui jusqu’ici en étaient tenus éloignés, provoquant une augmentation de la consommation de bande passante et donc un usage plus efficient des infrastructures. Ce scénario suppose d’importants travaux initiaux avant que les services puissent être commercialisés. Il pourrait être réalisé en plusieurs étapes, avec une première phase consacrée à la création de trois ou quatre entités régionales, qui préfigureraient le raccordement tous les réseaux au niveau national (cette approche incrémentale permettrait notamment de vérifier la validité d’une séparation des infrastructures et des services du point de vue des autorités communautaires de la concurrence). Ce scénario soulève plusieurs interrogations, quant à sa faisabilité technique, quant à la volonté des câblo-opérateurs de s’y engager (leurs actionnaires y seraient sans doute favorables car l’opération leur permettrait de déconsolider les activités déficitaires de câblo-distribution de leurs comptes), et quant au niveau d’implication du régulateur des télécommunications dans le contrôle de l’entité Câble de France (pour notamment s’assurer de la mise en oeuvre des investissements nécessaires au développement des capacités du réseau).
Ce scénario correspond à la perpétuation des obstacles au rapprochement des câblo-opérateurs, parallèlement à la poursuite de l’intensification de la concurrence sur les activités de télédistribution (arrivée de la TNT) et de fourniture d’accès à Internet (confirmation du succès de l’ADSL). La probabilité de réalisation de ce scénario dépend principalement de trois facteurs : la cession ou non des réseaux du Plan câble aux câblo-opérateurs par France Télécom, le délai de transposition des textes du paquet télécom, et le lancement effectif de la télévision numérique terrestre.
L’absence d’assouplissement à court terme de la réglementation du câble limiterait fortement la capacité des câblo-opérateurs de chercher un remède structurel à leurs difficultés individuelles ; assez rapidement, la conjugaison de l’absence de perspectives nouvelles et de l’érosion des parts de marché du câble finirait par aboutir à un refus des actionnaires des câblo-opérateurs de continuer à financer leurs déficits d’exploitation. En cas de liquidation des câblo-opérateurs, les réseaux concessifs reviendraient aux collectivités locales, qui auraient alors deux possibilités : soit organiser un appel d’offres pour en céder l’exploitation à un nouvel opérateur, soit réaffecter les capacités du réseau à des usages d’intérêt général. Dans le premier cas, l’exploitation des réseaux des communes où le câble bénéficie d’une implantation forte (40% d’abonnés ou plus) pourrait intéresser d’éventuels nouveaux entrants, ou des opérateurs régionaux du type de Est Vidéocommunication, sans toutefois que les conditions d’exploitation et l’environnement concurrentiel leur soient plus favorables ; dans le second cas, certaines communes pourraient être tentées par une reprise des réseaux câblés afin d’y développer des applications d’intérêt général : enseignement à distance, aide à domicile pour les personnes âgées, intranet municipal reliant les lieux publics, etc. La tentation d’utiliser le réseau à cette fin sera d’autant plus forte que l’offre de services de télévision payante et d’accès Internet haut débit sera bien satisfaite par d’autres opérateurs sur le territoire de la commune.