Etude sur La migration vers IPV6 - Synthèse / Octobre 2002
IPv4, élaboré il y a une vingtaine d’années,
est la version du protocole IP utilisée actuellement sur Internet.
Sa principale faiblesse réside dans son espace d’adressage puisque
dans IPv4, une adresse est définie sur 32 bits seulement. Le succès
rapide d'Internet et l'accélération de la consommation d'adresses
IP, fait craindre une pénurie d’adresses IP dans les années
à venir. Pour l’instant, IPv4 a réussi à repousser
les limites de son système d'adressage grâce à des
procédés tels que la translation d'adresses (NAT) ou le
schéma de routage CIDR qui permet d'agréger des adresses
IP. Dans ce contexte, l’Autorité de Régulation des Télécommunications a souhaité réaliser une étude permettant de cerner les problématiques de la migration d’IPv4 vers IPv6 en identifiant notamment les stratégies des différents acteurs couvrant l’ensemble de la chaîne de valeur des services et des équipements de réseaux Internet : équipementiers, opérateurs, ISP, entreprises utilisatrices de technologies IP, fabricants de logiciels,... L'étude s'est attachée en particulier à examiner les problématiques de cette migration sous l'angle réglementaire et concurrentiel et les impacts de celles-ci sur les marchés des réseaux et services de télécommunications utilisant le protocole IP.
1 IPv6 : un protocole adapté à la diffusion massive d'Internet 1.1 IPv4 : certaines limites perceptibles - IPv6 : des atouts pour un relais de croissance Le protocole IPv4, finalisé en 1983 s’adressait alors à une communauté restreinte. Ainsi, l’adressage d’IPv4 est-il prévu sur 32 bits, ce qui permet de disposer d’un "stock" de 4,3 milliards d’adresses IP environ. A cette époque et avec la vision qu’avaient alors les responsables, à savoir un réseau destiné aux militaires et scientifiques (donc assez éloignée de ce qu’allait devenir l’Internet que nous connaissons aujourd’hui), le stock paraissait plus que suffisant. Aujourd’hui, ce stock d’adresses IPv4 est très entamé et si près de 47% des adresses ne sont pas attribuées (parmi le stock total d’adresses), la répartition géographique en est très inégale. Les adresses allouées (destinées à être utilisées par un registre régional ou par des organisations pre-RIR) représentent la majorité du stock et sont destinées essentiellement à la zone américaine aux dépens de l’Asie qui présente pourtant un important potentiel de développement (Chine, Inde). Il est également à noter, que parmi le total des adresses IPv4 disponibles, 53% ont été attribuées directement à des organisations (américaines pour la plupart), avant l’apparition des RIR qui ne les contrôlent donc pas. Ainsi, en tenant compte de ces organisations pre-RIR, on peut estimer, fin 2001, que 74% des adresses allouées le sont pour l’Amérique du Nord, 17% pour l’Europe et 9% pour l’Asie. Outre la croissance organique encore forte d’Internet dans le monde entier (et particulièrement en Asie où le potentiel de croissance est très élevé et les ressources en adresses très faibles), bon nombre d’applications nouvelles, consommatrices d’adresses IP devraient se développer : - l’arrivée des services mobiles autour du GPRS d’abord puis de l’UMTS, - les accès haut débit et le mode "always on", - l’électronique connectée et les véhicules communicants, - les applications domotiques et réseaux de capteurs. Prévu à l’origine pour des usages non commerciaux, IPv4 n’a pas été conçu pour assurer les fonctions de QoS attendues aujourd’hui, ni pour assurer les fonctions d’autoconfiguration ou Multicast, ou encore la sécurité, essentielles dans l’Internet commercial moderne. Des solutions ont été trouvées pour assurer ces fonctions, alourdissant le protocole de couches supplémentaires, ou pour doper artificiellement la durée de vie du stock d’adresses (NAT), faisant notamment exploser la complexité des tables de routage. Cette gestion de la pénurie d’adresses se traduit par des politiques drastiques d’attribution d’adresses IPv4 pratiquées par les RIR. De plus, l’emploi généralisé des NAT permet de retarder la pénurie, mais cela alourdit la gestion des réseaux et constitue un frein au développement d’applications temps réel et P2P. Ainsi, toutes choses égales par ailleurs, on peut estimer un épuisement du stock d’adresses IPv4 d’ici 2010. Malgré les divers avantages techniques d’IPv6 décrits ci-après, l’essentiel, de l’avis général des experts, reste l’espace d’adressage large, qui permettra de faire face aux besoins engendrés par le développement des nouvelles applications " always on " et de rétablir l’usage du mode end-to-end qui est le principal apport d’IPv6 au niveau des applicatifs. Les autres avantages techniques, bien que réels, ne présentent pour l’heure que des potentiels intéressants, mais ne sont pas l’atout premier d’IPv6 : - Adressage hiérarchique pour optimiser le routage, - Autoconfiguration, - IPSec natif, - Multicast, - Mobile IPv6. IPv6 présente également plusieurs avantages permettant de mieux gérer la QoS mais qui ne sont pas encore significatifs. De manière générale, on considère que dans un premier temps, la QoS sera gérée de la même façon sous IPv6 que ce que l’on connaît aujourd’hui sous IPv4. 1.2 La normalisation IPv6 est stable A ce jour, le cœur d’IPv6, essentiel pour son fonctionnement, est considéré comme stable par la plupart des spécialistes. Considérant qu’IPv4 a commencé à être utilisé alors que l’ensemble de ses spécifications n’était pas totalement stable, on peut considérer qu’IPv6 est en mesure, dès maintenant, d’être utilisé "commercialement". Qui plus est, les "chantiers" encore existants concernent essentiellement des spécificités d’IPv6, des nouveautés par rapport à IPv4 : - Gestion du DNS mondial sous IPv6, - Mobile IPv6, - Autoconfiguration, - Champ Flow Label. Au final, les chantiers encore en cours sous IPv6 n’ont pas d’effet négatif sur le développement de celui-ci, le protocole étant suffisamment abouti pour fonctionner sur un mode commercial aussi bien qu’IPv4, et les nouveautés inachevées ne nuisant pas à ce fonctionnement.
Les équipementiers télécoms fournissent les matériels qui permettent l’acheminement des données sur les réseaux IP : il s’agit principalement des routeurs. Ces routeurs sont actuellement conçus pour acheminer les paquets de données en utilisant le protocole IPv4. L’utilisation d’IPv6, donc d’un format de paquets différent, nécessite en premier lieu une mise à niveau de ces infrastructures de routage. Ces mêmes équipementiers télécoms fournissent également des équipements d’accès à Internet : CPE et terminaux mobiles notamment. Sur le marché de l’informatique grand public, c’est d’abord le système d’exploitation (OS) qui rend possible l’utilisation d’IPv6. Les produits Microsoft, leader absolu du marché des OS pour terminaux sont sur le point d’être prêts pour IPv6 : Windows XP est déjà prêt et présentera, d’ici fin 2002, IPv6 par défaut (pour le moment, il est disponible mais doit être activé), et les autres produits Windows seront prêts avant la fin 2002. Le fait que le leader du marché aille vers IPv6 est un élément essentiel : si l’OS majoritaire est compatible IPv6, l’un des principaux points de blocage à la transition est levé. Les opérateurs de backbone peuvent constituer un goulet d’étranglement dans la transition vers IPv6 : s’ils n’assurent pas le transit des données en IPv6, les autres opérateurs et ISP sont contraints d’avoir recours à des techniques d’encapsulation dans IPv4 pour faire transiter les données entre des nœuds distants. Ces techniques peuvent suffire pour un premier stade de déploiement d’IPv6. Cependant, la gestion à grande échelle de tunnels ne sera pas viable ; les opérateurs de backbone devront migrer leurs routeurs de cœur de réseau sous IPv6 quand la demande le justifiera. En Europe, les équipementiers leaders spécialisés dans la mobilité et notamment les réseaux cellulaires sont actifs dans le domaine d’IPv6. Ainsi, Ericsson (par ailleurs propriétaire de Telebit, pionnier en matière de routeur IPv6) et Nokia proposent des gammes de routeurs compatibles pour IPv6. Ces acteurs considèrent que l’Internet mobile sera un moteur de croissance d’IP et qu’IPv6 sera nécessaire pour développer des services attrayants. L’horizon de la 3G est clairement évoqué par ces derniers comme une réelle opportunité pour IPv6. De plus, le saut technologique IPv6 a été identifié par le 3GPP à partir du release 5 de la norme UMTS. Le marché des WLAN connaît un développement sensible à la fois dans le domaine des réseaux d’entreprises et, plus récemment, dans le domaine des réseaux d’accès public. Les WLAN permettent la connexion à la fois des assistants personnels et des ordinateurs. Toutefois, la prolifération attendue du nombre de terminaux connectés par ces technologies est bien moindre que celle attendue de la téléphonie mobile. Ainsi, le développement des WLAN n’aura pas un effet majeur dans un premier temps, comparé à la téléphonie mobile. Cependant, aujourd’hui, de plus en plus de demandes se font sentir quant à l’utilisation des technologies WLAN sur des réseaux publics. Si une telle utilisation tend à se généraliser, l’arrivée de Mobile IPv6 pourrait s’accélérer de manière notable ; l’attitude des autorités réglementaires sera déterminante dans les prochains mois quant à l’utilisation des technologies WLAN sur des réseaux publics. Les équipementiers télécoms ont clairement identifié IPv6 en tant que relais de croissance : IPv6 va accélérer le renouvellement des parcs (terminaux et réseaux d’accès). De plus, IPv6 sera pour les différents équipementiers un moyen d’atteindre de nouveaux marchés : - via l’électronique connectée : équipementiers grand public, - de par l’intrusion d’IP dans d’autres secteurs que l’informatique et les télécommunications : équipementiers IP. Dans le cadre du développement des connexions permanentes des terminaux (développement des hauts débits notamment, 3G), les opérateurs peuvent trouver, dans IPv6, un réservoir d’adresses qui leur permettra d’offrir un service de qualité à leurs clients, sans souci de gestion complexe ( NAT). La gestion du réseau est globalement simplifiée, notamment grâce à l’adressage hiérarchique et aux fonctions d’autoconfiguration. En offrant un meilleur service, on peut imaginer que l’opérateur puisse augmenter ses tarifs sur certaines parties de son offre. La gestion du réseau étant moins onéreuse, certains équipementiers estiment ainsi que des opérateurs peuvent accroître leurs marges. Les coûts engendrés par le passage à IPv6 pour les
ISP sont marginaux, du moins dans le domaine matériel : la
mise à jour software des routeurs est souvent gratuite. En revanche,
si l’ISP gère les deux versions d’IP sur un même réseau,
la lourdeur de gestion peut être ressentie, le surcoût des
équipements restant marginal. Les principaux coûts identifiés
par les fournisseurs d’accès sont les coûts humains :
les personnels maîtrisent la technologie IPv4. IPv6 présente
de nouvelles particularités et les techniciens doivent donc s’adapter.
Ils devront, en outre, être capables de gérer les deux versions
d’IP simultanément pendant une longue période. Comme nous venons de l’évoquer, l’abondance d’adresses IPv6 est une opportunité qui permet à de nombreux ISP de se repositionner sur un marché plus ouvert, de proposer de nouveaux services, d’améliorer ou de simplifier des services existants ou de gérer plus simplement leurs réseaux. Ainsi, la fourniture de services d’accès à Internet sous IPv6 va permettre de fluidifier la concurrence entre les ISP dès lors, par exemple, que le système d’autoconfiguration permettra aux entreprises de changer de fournisseur à moindre coût, la renumérotation d’un réseau devenant automatique, mais est aussi susceptible de réduire, dans cette mesure, l'étendue de leurs services. Il faut distinguer deux types d’entreprises de technologie IP : les entreprises qui utilisent le protocole pour leurs communications et leurs réseaux (Intranet, Extranet), et les entreprises qui, bien qu’étant hors du champ des acteurs du marché "traditionnel" d’Internet, peuvent trouver des opportunités pour utiliser IPv6 dans de nouvelles applications, ou en substitution d’applications existantes. Ces deux aspects peuvent se manifester au sein d’une même entreprise, avec des attitudes différentes par rapport à IPv6 selon le contexte. Les premières, utilisatrices de réseaux d’entreprises IP, ne ressentent pas nécessairement le besoin de passer à IPv6. Bien que les avantages potentiels d’IPv6 soient perçus, les responsables informatiques estiment, dans leur ensemble, qu’il n’y a ni urgence, ni priorité. Dans le contexte actuel, la priorité est à la pérennisation des investissements déjà réalisés sous IPv4. C’est le cas d’une majorité de grandes entreprises qui estiment pour l’instant que rien n'est possible sous IPv6 qui ne soit faisable sous IPv4. Parallèlement, certaines entreprises non utilisatrices d’IP, ou non orientées à l’origine vers les TIC, voient dans IPv6 une opportunité. Ainsi, dans le secteur de l'Aéronautique, on étudie attentivement le nouveau protocole IPv6. Les acteurs y voit une possibilité de passer à IP. Qui plus est, l’abondance d’adresses peut permettre d’imaginer le développement de nouvelles applications : suivi des sous-ensembles des aéronefs, maintenance, Internet embarqué. Les constructeurs automobiles, qui, s’ils estiment que leurs réseaux internes peuvent demeurer en IPv4, voient avec IPv6, allié aux technologies cellulaires, la possibilité de nouvelles applications autour de la voiture connectée. Les constructeurs d’électroménager imaginent également des applications domotiques. Il y a donc face à IPv6 une attitude relativement neutre des grandes entreprises, voire indifférente de la part des directions informatiques, alors que les directions de R&D y voient un certain nombre d’opportunités dans le domaine des objets communicants. Dans tous les cas, il y a une volonté de se tenir informé, même si l’information semble parfois faire défaut.
3.1 Au-delà de la pénurie d’adresses IPv4, d’autres facteurs déclencheurs de 1er rang : services mobiles (GPRS et 3G) et nomades (WLAN) Outre la pénurie d’adresses IPv4, premier facteur déclencheur du passage à IPv6 et qui s’annonce pour les prochaines années (cf. ci dessus), d’autres facteurs déclencheurs de 1er rang se sont dégagés de cette étude : L’émergence des services de données mobiles, au Japon notamment avec l’i-mode de DoCoMo et les autres services des opérateurs concurrents, et en Europe avec le succès des SMS, conduit à s’interroger sur l’influence de ce marché sur l’introduction d’IPv6. Par ailleurs, l’arrivée de nouvelles générations de technologies réseaux devrait conduire à la prolifération des terminaux mobiles connectés : le GPRS tout d’abord, dont les premiers services commerciaux à destination des entreprises sont à présent offerts par la plupart des opérateurs GSM d’Europe de l’Ouest, puis la 3G (UMTS et CDMA 2000) qui fait l’objet d’investissements colossaux en Europe et dont le premier service commercial a été ouvert au Japon par DoCoMo en octobre 2001. Même si dans un premier temps, les systèmes mobiles GPRS et UMTS exploitent IPV4, la version IPv6 apparaît comme un enjeu important pour les opérateurs de réseau mobile, car il permettra d’allouer une adresse IP permanente à chaque terminal mobile connecté. En effet, le GPRS introduit le concept de "always-on", c’est-à-dire de connexion permanente au réseau de données en IP, même lorsque l’utilisateur est inactif. A terme, IPv6 est considéré par les acteurs du secteur comme une évolution incontournable des réseaux mobiles. A ujourd’hui, de plus en plus de demandes se font sentir quant à l’utilisation des technologies WLAN sur des réseaux publics. Si une telle utilisation tend à se généraliser, l’arrivée de Mobile IPv6 pourrait s’accélérer de manière notable ; l’attitude des autorités réglementaires sera déterminante dans les prochains mois quant à l’utilisation des technologies WLAN sur des réseaux publics. La gestion native de la mobilité par IPv6 et ses solutions simples permettant une simplification de la gestion de la mobilité d’un terminal dans un réseau (auto configuration, renumérotation automatique) constituent des avantages évidents pour ce type de technologies et font d’IPv6 une solution particulièrement séduisante pour la gestion de la mobilité dans des réseaux hétérogènes. On pense notamment aux terminaux mobiles au travers d’un WLAN, puis sur les réseaux 3G : mobilité totale et transparente pour l’utilisateur. 3.2 La dynamique de l’accès haut débit, de l’électronique connectée et des réseaux de capteurs : facteurs déclencheurs de 2ème rang Derrière ces facteurs déclencheurs de 1er rang, apparaissent d’autres moteurs de la migration vers IPv6 : Le marché des hauts débits en devenir pourrait accélérer la pénurie d’adresses sous IPv4. En effet, la plupart des accès haut débit se font en always-on, c’est-à-dire que le terminal reste connecté en permanence et nécessite donc une adresse IP fixe. En pratique, les fournisseurs d’accès haut débit via ADSL par exemple, continuent à proposer un adressage dynamique. Cependant, les usages qui se développent autour de ces connexions permanentes font que ces ISP ne peuvent appliquer les mêmes taux modem/abonnés que sous connexion RTC ; ces taux peuvent ainsi passer de 1/10 ou 1/20 sous accès commuté à 1/2 ou 1/4 sous accès ADSL. Cela accélère donc la consommation d’adresses IP. De plus, si l’on examine la situation au Japon, on observe que les premiers déploiements IPv6 ne se font pas du côté des services mobiles comme on aurait pu s’y attendre mais à travers des accès ADSL sous IPv6 (IIJ, NTT). Le développement des objets électroniques connectés est unanimement reconnu comme un levier potentiel pour IPv6. Les produits de l’électronique grand public et de l’électroménager (de type TV, appareils photos, etc.) devraient de plus en plus fréquemment être connectés à Internet : ceux-ci pourraient se comporter comme des terminaux (écrans de télévision pour surfer sur Internet, …) ou comme des serveurs (appareils électroménagers dans le cadre du développement de la domotique). En outre, les terminaux portables de type PDA devraient se multiplier à l’avenir et être également connectés. Le besoin en adresses IP généré par les développements annoncés devrait rendre impératif le passage des réseaux à IPv6, du moins pour les réseaux concernés par ces applications. A ce jour, les développements ont commencé, notamment au Japon, où les produits électroménagers connectés devraient apparaître courant 2003 et les jeux en réseaux, moteurs de la croissance du marché des consoles de jeux connectés, devraient exploser en Asie en 2002. La mise en réseau et la connexion de capteurs via IP est une technique émergente sur laquelle des expérimentations sont menées (au Japon notamment). De nombreux acteurs l’identifient comme un levier de croissance du besoin en adresses IP : adressage global de "méga réseaux de capteurs", pour la météorologie, développement des réseaux de capteurs embarqués dans l’automobile, ou l’aéronautique. Les fournisseurs d’applications militaires ont également intérêt à passer à IPv6 : qu’il s’agisse de systèmes de communications "traditionnels" ou de nouveaux systèmes de contrôle du matériel ou de suivi des soldats, IPv6 peut apporter de réels avantages. Si ces techniques prennent effectivement un essor important, elles constitueront une source de croissance du besoin en adresses IP et donc un facteur influençant le passage vers IPv6.
4 IPv4 – IPv6 : une cohabitation longue et incontournable 4.1 Un risque limité de morcellement de l’Internet Même si IPv6 a été conçu dans la continuité d’esprit d’IPv4, sans réelle rupture technologique, le nouveau protocole n’en reste pas moins différent et l’interopérabilité entre les deux IP n’est pas naturelle. Il apparaît plus judicieux de parler de transition et de déploiement que de migration : on ne se situe pas dans un cas de figure du type an 2000 avec une bascule subite, mais dans celui d’une transition douce et progressive des réseaux. Ceci signifie que les deux standards seront amenés à cohabiter pendant plusieurs années et donc à interopérer. Les scenarii de transition sont multiples et les outils qui les appuieront ont été largement envisagés par l’IETF, ainsi que leurs usages dans les différentes phases de la transition. Ainsi, la cohabitation entre les deux standards risque d’être relativement longue. On peut estimer qu’à partir des premiers déploiements IPv6, il faudra au moins une dizaine d’années pour qu’IPv6 devienne majoritaire. Qui plus est, il n’y a pas uniformité dans ce domaine : il est probable que les ISP migrent bien avant les entreprises qui cherchent d’abord à rentabiliser les applicatifs développés sous IPv4 avant d’investir dans de nouvelles techniques. D’un point de vue géographique, le rythme d’entrée dans IPv6 des différentes régions du monde sera assez différent. Toutefois, le morcellement géographique (barrière des langues, habitudes d’utilisation) existe déjà de fait, et les conséquences techniques de la cohabitation de différents standards en différentes zones devraient donc être minimes.
Le serveur DNS est l’outil qui permet de faire correspondre un nom de domaine "en clair" à une adresse IP. Actuellement, les serveurs DNS fonctionnent en IPv4. Si quelques problèmes se posent encore pour le fonctionnement en IPv6, au Japon et en France, des serveurs DNS IPv6 fonctionnent néanmoins. La principale difficulté sera donc d’assurer l’interopérabilité IPv4/IPv6 pour cette fonction, de façon transparente notamment lors du procédé de résolution de noms de domaine. Actuellement, les serveurs DNS sont hébergés par des organismes
associés à la gouvernance de l’Internet. Ainsi, en France,
c’est Renater qui administre le premier serveur DNS IPv6. Selon les experts,
le principal problème ne sera pas technique et ne concernera pas
les serveurs DNS "nationaux" : l’organisation du DNS est hiérarchique,
et ce qui manque aujourd’hui est une capacité de gérer le
DNS au sommet de cette hiérarchie : les serveurs racines (root)
ne sont pas prêts. Il s’agirait là d’une cause "politique"
plus que technique : blocages de l’IANA et de l’ICANN.
L'arrivée d'IPv6 pourra conduire à intensifier la concurrence
sur des marchés existants liés à l'accès à
Internet : la suppression de la rareté des ressources en adresses
IP et une baisse des coûts de gestion des réseaux par les
ISP pourraient abaisser les barrières à l'entrée
; le système d'auto-configuration et le modèle de communication
poste à poste pourraient contribuer à fluidifier la concurrence
entre ISP. De nouveaux marchés sont susceptibles d'apparaître
essentiellement sur les services (solutions de transition, accès
par de nouveaux terminaux d'accès à Internet, fonctionnalités
spécifiques offertes par IPv6 pour les services de jeux distribués
ou de visioconférence). Le déploiement d'IPV6 interviendra en grande partie dans un cadre réglementaire rénové, au plus tard à la mi 2003, marqué notamment par l'harmonisation du régime applicable aux différents réseaux et services de communications électroniques. A la suite des travaux de l'IPv6 Task Force, la Commission Européenne a publié le 21 mars 2002, une communication sur l'Internet nouvelle génération, proposant des priorités d'actions dans la migration vers le nouveau protocole IPv6. L'utilisation de ce protocole par les opérateurs n'est pas susceptible de modifier la qualification juridique de réseaux et services, ni leur régime, mais un suivi du déploiement pourra être effectué sur la base des informations qui leur seraient demandées. Le passage à IPv6 s’effectue dans le contexte plus global de la
réforme des instances de l’Internet. Une certaine opacité
entoure les règles d'attribution des adresses IPv6 en raison de
l'absence de visibilité sur le calendrier d'adoption et du nombre
d'intervenants dans le processus, mais les futures règles d’allocation
tentent de limiter les risques d’atteinte à l’égalité
des conditions de concurrence. Les nouvelles politiques d'adressage IPv6, tout en réaffirmant
les principes de gestion des adresses IP, conduisent à donner une
plus grande importance à l'objectif d'agrégation qu'à
celui de "conservation" des adresses et ont introduit un nouveau principe
d'équité et d'impartialité des pratiques et politiques.
La publication des adresses attribuées par les RIR, l’absence de
droit de propriété sur les adresses IP attribuées
et le contrôle des différents transferts entre les registres
des adresses attribuées tentent de répondre à l’objectif
d’une meilleure gestion des adresses IPv6. Le nouveau protocole devra conduire à s'assurer que les ISP disposent, à terme, d'une offre d'accès non-discriminatoire aux réseaux sous IPV6. L'interopérabilité des services semble assurée par l'existence de solutions de transition et la disponibilité de routeurs et terminaux compatibles IPv4/IPv6. En cas de besoin, non avéré à ce jour, une possibilité théorique d'intervention de l'ETSI existe. La continuité de la qualité des services mobiles multimédia pourrait conduire à intervenir sur les accords d'itinérance. Du côté des utilisateurs, IPv6 n'a pas d'incidence sur le choix, par l'internaute, de son opérateur d'accès ni de son ISP, sauf dans l'hypothèse où s'installerait une pratique de préinstallation dans les terminaux des adresses d'ISP. Quant à la liberté d'accès aux sites et aux contenus, c'est l'ISP qui détient les moyens de la garantir, en proposant aux fournisseurs de contenus des accès IPv6, c'est-à-dire en pratique en s'équipant en serveurs à double pile pouvant être utilisés indifféremment par tous les fournisseurs. Néanmoins, la capacité d’auto-configuration facilite la pré-installation des adresses : selon les accords conclus entre le fournisseur du terminal (également ISP) avec les tiers, l’accès à des plates-formes de services pourrait être limité. La Commission européenne a rappelé dans sa communication du 21 février 2002 que l’adresse IP pouvait être une donnée personnelle au sens du cadre juridique communautaire. Les données de trafic, telles que l’adresse IP, doivent, en principe, être effacées ou rendues anonymes dès l’achèvement de la transmission, sauf exceptions. Le nouvel article L. 32-3-1 du Code des postes et télécommunications pose le principe de l’effacement immédiat ou de l’anonymat des données de communication, cette obligation s’imposant notamment aux ISP. Le respect du cadre communautaire relatif à la protection de la vie privée devrait également s’imposer au RIPE s’agissant de ses bases de données. Plusieurs facteurs annoncent une transition prochaine vers IPv6 : - l’émergence des services de données mobiles autour du GPRS et UMTS. Toutefois, cette affirmation est à modérer. Le GPRS et l’UMTS se déploient dans leur première version avec l’IPV4, - les accès haut débit (fixes et nomades du type WLAN) consommateurs d’adresses permanentes, - l’électronique connectée qui constitue un levier potentiel de développement pour IPv6. Face à cette arrivée annoncée d’IPv6 on trouve des acteurs en ordre de marche dispersé :
La cohabitation entre IPv4 et IPv6 sera longue et inévitable, il est ainsi plus opportun de parler de déploiement d’IPv6 plutôt que de migration. Par ailleurs, l’arrivée d’IPv6 peut remettre en cause l’hégémonie américaine dans la gestion du DNS mondial. A ce titre, les décisions à venir concernant la mise en place de DNS racine IPv6 seront cruciales. Disposant de serveurs DNS à un niveau national, l’Asie et l’Europe doivent de se positionner dès à présent sur ces questions. Plusieurs enjeux pour la régulation ont été mis en évidence lors de cette étude :
|