La desserte et le câblage des immeubles par les opérateurs de télécommunications et de télévision par câble / Etude réalisée par le cabinet Freshfields pour le compte de l’ART (décembre 1998)

Introduction

A l'issue d'une procédure d'appel d'offres, l’ART a confié à notre Cabinet une étude relative à la desserte et au câblage des immeubles par les opérateurs de télécommunications et de télévision par câble (l'Etude).

Il s’agissait d’identifier les propriétaires des réseaux intérieurs aux immeubles, que ces réseaux soient à usage de téléphone ou de télévision, afin d’appréhender, sous l’angle de la question de la propriété, le régime juridique applicable à l’élément final de la boucle locale.

L’Etude a été conduite en deux phases :

  • une première phase a consisté à traiter la question en droit, en faisant application des règles du droit civil, du droit public, du droit de l’immobilier ainsi que, bien entendu, du droit des télécommunications et de l’audiovisuel. Elle a conduit à la remise d’un rapport préliminaire le 8 septembre 1998 ;
  • une deuxième phase a consisté à engager une série de consultations auprès de différents acteurs concernés, qu'il s'agisse d'opérateurs de télécommunications, de câbles-opérateurs, de promoteurs ou de collectivités locales.

Parallèlement, au cours de ces deux phases, des réunions se sont tenues avec des représentants de l’ART afin de préciser le champ de l'Etude et les modalités pratiques de sa réalisation, ainsi que de rendre compte de l’avancement des recherches.

L'ensemble de ces travaux sont présentés ci-après.




CONCLUSIONS SYNTHÉTIQUES

1. Principes généraux du droit de propriété

(i) Les réseaux câblés situés à l’intérieur des immeubles, qu’ils soient à usage téléphonique (RTII) ou à usage de télévision (RCII), sont susceptibles en général d’appartenir soit propriétaire de l’immeuble, soit au constructeur du réseau.

Ce type de conflit de propriété a été envisagé par le Code civil sous l’angle du droit d’accession. En application de ce droit, édicté à l’article 551 du Code civil, le propriétaire d’un immeuble est propriétaire de tous les accessoires qui viennent s’y incorporer.

L’accession joue que le propriétaire de l’immeuble soit propriétaire dès l’origine des éléments incorporés (ce que le Code civil présume) ou que ces éléments soient initialement la propriété d’un tiers, auquel cas le d’accession droit permet d’opérer un véritable transfert de propriété au profit du propriétaire de l’immeuble.

En ce qui concerne les RTII ou les RCII, on doit pouvoir considérer qu’ils s’incorporent aux immeubles hormis certains cas (à notre avis exceptionnels) où le lien de fixité qui les rattachent à l’immeuble pourrait être considéré comme insuffisant. Dès lors le droit d’accession leur est normalement applicable.

Ainsi, on peut admettre le principe fondamental suivant lequel les réseaux intérieurs aux immeubles sont, sauf dérogations (cf. ci-après) la propriété du propriétaire de l’immeuble, quel que soit celui qui l’a construit, et ce en vertu du droit d’accession.

(ii) Le droit d'accession n’est toutefois ni absolu ni d’ordre public. On peut classer les dérogations au principe de l’accession en trois catégories. La première catégorie est constituée par les dérogations d’origine légale et réglementaire. La loi mais également semble-t-il les règlements, peuvent en effet expressément écarter les effets du droit d’accession.

La deuxième catégorie de dérogations provient, elle, de la jurisprudence administrative et est liée à la notion de domaine public. Un bien fait partie du domaine public dès lors qu'il appartient à une personne publique, est affecté à l’usage du public ou à un service public et enfin, a exigé un aménagement spécial. De cette appartenance découle un régime spécifique protecteur de la propriété publique, qui fait obstacle au principe de l’accession. La jurisprudence a ainsi clairement reconnu que le droit d'accession ne pouvait bénéficier à un propriétaire privé (d’immeuble) pour un bien (câble) appartenant à une personne publique et affecté à l'utilité du public.

Enfin la dernière catégorie de dérogations est d'origine conventionnelle puisqu'il est admis que des parties puissent déroger au principe de l’accession par voie contractuelle.

(iii) Ainsi, dès lors que l’on considère que les réseaux intérieurs aux immeubles s’y incorporent et que le principe de l’accession au bénéfice du propriétaire de l'immeuble leur est normalement applicable, il s’agit d’envisager au cas par cas les dérogations susceptibles de s’appliquer au bénéfice de personnes autres que le propriétaire de l’immeuble.

2. La propriété des réseaux de téléphones intérieurs aux immeubles

Dans la plupart des cas (RTII établis antérieurement au 26 juillet 1996), la propriété des RTII est susceptible de revenir soit aux propriétaires des immeubles, soit à France Télécom, opérateur historique et successeur de l’Administration des Postes et Télécommunications (l'APT), du moins pour son activité économique.

A cet égard, une distinction importante doit être opérée selon que les RTII ont été construits avant ou après le 15 février 1974.

(i) Avant le 15 février 1974, l'APT avait une compétence quasi exclusive pour construire les RTII en vertu de l'article D. 407 du Code des Postes et Télécommunications (CPT) en vigueur à l'époque, dès lors que les usagers avaient renoncé à les construire eux-mêmes ce qui a été le plus souvent le cas. Ce même article attribuait la propriété des lignes intérieures construites par l'APT à cette dernière.

L'article D. 407 du CPT a certes été modifié par un décret du 12 juin 1973 et notamment l'attribution à l'APT de la propriété des lignes intérieures construites par elle a disparu. Toutefois, le même décret a introduit un article D. 407-3 au CPT, qui énonce la règle selon laquelle les lignes construites par l'APT "restent la propriété exclusive de cette administration". Tant l'article D. 407 du CPT avant sa modification, que le nouvel article D. 407-3 du CPT ont ainsi confirmé réglementairement, au profit de l’APT, une dérogation au droit d'accession qui aurait dû bénéficier au propriétaire de l'immeuble. Ainsi, l'APT est demeurée propriétaire des lignes qu'elle avait construites avant le 15 février 1974, y compris pour la partie située à l'intérieur des immeubles.

Les RTII sont ensuite devenus la propriété de France Télécom, exploitant public puisque la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 a transféré l’ensemble des biens de l’APT, RTII par conséquent inclus, à France Télécom.

De la même manière, la loi du 26 juillet 1996, relative à l’entreprise nationale France Télécom, a opéré un transfert de la propriété de l'ensemble des biens de la personne morale de droit public France Télécom à une nouvelle personne morale de droit privé, France Télécom S.A. Les RTII ont à nouveau été concernés par ce transfert de propriété car la loi a prévu le transfert de l'intégralité des biens de l’exploitant public à France Télécom S.A.

Ainsi France Télécom S.A. est aujourd'hui propriétaire des RTII construits avant le 15 février 1974 par l'APT.

(ii) En ce qui concerne les RTII construits après le 15 février 1974, la situation est normalement inverse puisque ce sont désormais les promoteurs qui ont le plus souvent construit les RTII. Dans ce cas, la propriété est naturellement revenue au propriétaire de l’immeuble, ayant droit du promoteur.

On peut préciser que les promoteurs qui, en règle générale, ont ainsi construit les RTII, l'ont fait soit en vertu d'une obligation soit de leur propre initiative.

Ainsi, pour les immeubles groupant plusieurs logements, deux décrets en date du 12 juin 1973, ont mis à la charge des constructeurs d’un immeuble groupant plusieurs logements (sauf exceptions) l’obligation de les pourvoir de lignes téléphoniques nécessaires à leur desserte, et ce à partir du 15 février 1974. Cette obligation figure notamment à l'article D. 407-1 du CPT.

Pour les autres types d'immeubles (et notamment les immeubles de bureaux), bien qu'aucune obligation expresse ne pesait sur eux, les promoteurs ont souvent construit les RTII qui, comme dans le cas précédent, sont alors normalement revenus aux propriétaires des immeubles.

Toutefois, ceci ne signifie pas qu'à partir du 15 février 1974, l'APT ait totalement cessé d'être propriétaire des RTII construits. Au contraire, la propriété des RTII a pu lui revenir dans deux cas.

Le premier cas est celui où, bien qu'elle n'ait pas construit elle-même les RTII, l'APT a bénéficié de la pratique courante consistant de la part des propriétaires à rétrocéder gratuitement à elle (puis à France Télécom) les RTII, à charge pour elle de les entretenir et de les exploiter.

Le second cas concerne les immeubles autres que ceux groupant plusieurs logements et pour lesquels il n'y avait pas d'obligation de construction à la charge des promoteurs. A l'intérieur de ces immeubles, l'APT a pu être amenée à construire elle-même les lignes. Toutefois, aux termes de l'article D. 407-2 du CPT, l'APT n'intervenait que s'il existait des gaines techniques et des passages horizontaux permettant la pose des câbles, ce qui laisse supposer que l'APT n'intervenait plus que de manière résiduelle dans la construction des RTII. Dès lors, l'article D. 407-3 du CPT réservant à l'APT la propriété des lignes construites par elle, a encore eu vocation à s'appliquer constituant à nouveau un obstacle à l'accession par les propriétaires de l'immeuble.

Conformément au processus précédemment décrit, la propriété des RTII construits après le 15 février 1974, détenue soit du fait d'une convention soit du fait de leur construction par l'APT (puis par France Télécom exploitant public), a été transférée par la loi à France Télécom S.A., qui en est aujourd'hui le propriétaire.

Enfin, on rappellera qu’à compter de la transformation, opérée par la loi du 26 juillet 1996, de France Télécom en société anonyme de droit privé, les RTII établis par celle-ci (après cette date) n’ont pu bénéficier de dérogations réglementaires (art. D. 407 du CPT) ou jurisprudentielles (domanialité publique) au droit d’accession normalement applicable en faveur des propriétaires d’immeubles.

En conséquence, ces derniers sont normalement propriétaires desdits RTII, sauf en cas de rétrocession conventionnelle de ces réseaux à France Télécom (hypothèse apparemment fréquente en pratique).

3. La propriété des réseaux câblés intérieurs aux immeubles

Les principes qui ont été appliqués aux RTII, qui en attribuent, du fait de leur incorporation aux immeubles, la propriété au propriétaire de l'immeuble en raison du droit d'accession (sauf dérogation), s'appliquent également aux RCII.

Toutefois, au contraire de ce que l’on peut observer pour les RTII, les réseaux câblés ont été construits par plusieurs personnes différentes et dans des cadres juridiques distincts ce qui influe directement sur le régime de propriété qui leur est applicable.

(i) Les premiers réseaux câblés ont été les réseaux dits " communautaires " dont le régime a été fixé par un décret du 28 septembre 1977. Leur fonction essentielle était d’assurer une diffusion normale des programmes de télévision, en principe reçus par voie hertzienne, quand cette diffusion était défaillante. Le décret du 28 septembre 1977 en confiait la réalisation à l’établissement public Télédiffusion de France et précisait logiquement que les réseaux mis en place faisaient " partie du domaine public de Télédiffusion de France " puisque ces réseaux étaient construits par une personne publique, remplissaient une mission de service public d'égal accès aux programmes télévisés et avaient été spécialement aménagés pour remplir cette mission.

Dès lors que ces réseaux appartenaient au domaine public, la partie située à l’intérieur des immeubles demeurait également la propriété de TDF, dans la mesure où la domanialité publique du réseau faisait obstacle à l’accession. La transformation de TDF en société anonyme à l'issue de la loi du 30 septembre 1986 ne modifie pas cette solution puisque, à l'instar de ce qui s'est passé pour France Télécom, l'ensemble des biens de l'établissement public TDF, et donc implicitement les RCII communautaires, a été transféré à TDF S.A.

Les RCII correspondant à la partie terminale des réseaux communautaires sont donc aujourd'hui la propriété de TDF S.A.

(ii) La solution est moins nette en ce qui concerne les réseaux construits dans le cadre du " Plan Câble " lancé en 1982 par le gouvernement français afin de développer les infrastructures de réseaux câblés en France.

La propriété de France Télécom sur ces réseaux ne fait en général pas l’objet de discussion, même si le fondement de ce droit de propriété semble plus problématique. Bien que la jurisprudence administrative ne se soit jamais directement prononcée sur ce point, il semble que les réseaux du " Plan Câble " établis par l’APT, puis par France Télécom exploitant public (statut de la loi du 2 juillet 1990), aient fait partie du domaine public – ce qui rappelons-le suppose leur affectation à un service public.

Toutefois, cette solution ne vaut pas pour les portions des RCII que l'APT n'a pas construites. Dans plusieurs cas, au moins une portion des RCII a été construite par un câblo-opérateur privé voire par les pormoteurs ; c'est alors logiquement les propriétaires de l’immeuble qui sont devenus propriétaires de cette portion en vertu du principe de l'accession, sauf convention contraire conclue par les propriétaires de l'immeuble au bénéfice des câblo-opérateurs.

(iii) Le dernier cadre juridique dans lequel ont été construits des réseaux câblés est celui issu de la loi du 30 septembre 1986 qui a conduit à l’établissement des réseaux dits "nouvelle donne." Ce régime est marqué par le rôle déterminant attribué aux collectivités locales dans l’établissement des réseaux câblés.

En ce qui concerne les RCII des réseaux "nouvelle donne", on doit à nouveau appliquer le principe selon lequel ils sont la propriété des propriétaires des immeubles en vertu du droit d'accession. Cette solution s’impose notamment dans tous les cas où les RCII ont été construits par les promoteurs (qui ont d'ailleurs désormais l'obligation de le faire depuis un décret du 26 mars 1993) voire ultérieurement par les propriétaires eux-mêmes.

Toutefois, des dérogations au principe de l'accession ont pu jouer dans trois cas.

Le premier, et sans doute le plus important, est celui où la propriété des RCII revient à une collectivité locale. Ceci correspond à l'hypothèse, où conformément à la logique de la loi du 30 septembre 1986, la collectivité locale a pris l’initiative de l’établissement du réseau, que ce soit pour le réaliser elle-même ou pour le faire réaliser par un tiers au moyen d’une convention d'établissement et d'exploitation du réseau (désigné comme " bien de retour "). Dans ce cas, elle est devenue propriétaire dudit réseau. Or, on doit également pouvoir considérer que le réseau est entré dans le domaine public de la commune. En effet, bien qu'aucune décision jurisprudentielle explicite n’ait été rendue à ce sujet, il semble que l'on puisse considérer que les réseaux " nouvelle donne " sont affectés à un service public et rentrent donc dans le domaine public de la collectivité locale en question. Dès lors que la commune, ou celui qui a agi pour son compte, a construit les RCII, ceux-ci sont restés la propriété de cette dernière puisque l'accession n'a pu s'opérer au bénéfice du propriétaire de l'immeuble.

Le deuxième cas où l’accession n’a pu jouer est celui où c’est l'APT (ou France Télécom) qui a construit les réseaux " nouvelle donne ". Dans ce cas, les conventions d’établissement conclues avec les communes précisaient que " le réseau local, construit par les Télécommunications, est incorporé au domaine de l’Etat ". Ces réseaux devant être considérés comme faisant partie du domaine public selon le raisonnement précédemment suivi, l'accession a à nouveau été mise en échec en ce qui concerne les RCII qui ont ensuite été transférés à France Télécom S.A. selon le mécanisme déjà décrit.

Le troisième et dernier cas est celui où les RCII ont été construits par un câblo-opérateur privé, agissant pour son propre compte, et qui s’en est réservé contractuellement la propriété.

4. La propriété des équipements de télécommunication dans les Zones d'Aménagement Concerté (ZAC)

Pour se prononcer sur la propriété des équipements de télécommunication réalisés dans le cadre d'une ZAC, il convient d'une part de déterminer le mode de réalisation de la ZAC et la personne qui a eu la maîtrise d'ouvrage et, d'autre part, de distinguer, à l'intérieur de ces équipements, entre les gaines ou fourreaux, qui constituent les infrastructures de télécommunication, et les lignes de télécommunication elles-mêmes.

Il existe en effet quatre modes de réalisation de l'aménagement d'une ZAC : la régie, le mandat, la concession d'aménagement et la convention d'aménagement.

S'agissant d'équipements publics, les infrastructures de télécommunication devraient être considérées comme étant construites pour le compte de la collectivité publique ayant pris l'initiative de créer la ZAC et lui revenir en pleine propriété sauf à ce que celle-ci n'en ait transféré la propriété. Il apparaît d'ailleurs que de tels transferts de propriété ont eu lieu au profit de l'APT tout d'abord puis de France Télécom. Les lignes de télécommunication ont, quant à elles, le plus souvent été construites par l'APT puis par France Télécom et sont aujourd'hui la propriété de France Telecom.

5. La propriété des réseaux de télécommunication dans les lotissements

A l'instar de l'aménageur dans le cas de la convention de ZAC, le lotisseur a l'obligation de réaliser un certain nombre d'équipements publics sur les terrains faisant l'objet du lotissement et dont il détient la propriété. Il est propriétaire des différents réseaux qu'il réalise.

Toutefois, en pratique, l'opérateur historique se fait généralement attribuer le réseau de télécommunication en échange de son entretien.


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