En août 2020, le Ministère de la Transition écologique et le Ministère de l'Économie, des Finances et de la Relance ont confié à l’ADEME et l’Arcep une mission commune de 18 mois, visant à mesurer l’empreinte environnementale du numérique en France et à identifier des leviers d’actions et des bonnes pratiques pour la réduire.
Les deux organisations ont remis aujourd’hui les deux premiers rapports de leur étude au Gouvernement.
S’il est souvent perçu comme positif car créateur de croissance et de nouveaux modèles économiques, le numérique est pourtant responsable de 2,5 % de l’empreinte carbone de la France, et en forte croissance. Pour faire face à cet enjeu, et afin de répondre aux objectifs 2030 et 2050 de la Commission européenne et aux engagements pris dans le cadre de l’Accord de Paris, le Gouvernement a confié à l’ADEME et l’Arcep une mission pour mesurer l’empreinte environnementale du numérique en France.
Plus précisément, cette mission visait à :
- qualifier l’empreinte environnementale actuelle des réseaux fixes et mobiles, avec des projections en 2030 et 2050 ;
- quantifier l’empreinte environnementale du numérique sur l’ensemble du système (équipements, réseaux, centres de données) et en prenant en compte les usages des particuliers et des entreprises ;
- définir des leviers d’actions et des bonnes pratiques pour réduire cette empreinte.
Une méthodologie rigoureuse qui évalue l’impact environnemental du numérique dans son ensemble
Pour cette étude, c’est la méthodologie de l’Analyse du cycle de vie (ACV), qui a été retenue, puis soumise à une revue critique confiée à un tiers. Cette approche ACV repose sur des normes internationales et des référentiels publics et est à la fois :
- Multicritère, car les impacts environnementaux du numérique ne se réduisent pas aux émissions de gaz à effet de serre. Ainsi, cette évaluation de l’impact environnemental du numérique repose sur 11 indicateurs environnementaux en plus de son empreinte carbone ;
- Multi-étapes, afin d’intégrer les impacts générés lors de toutes les étapes du cycle de vie des équipements (phases de fabrication, distribution, utilisation et fin de vie) ;
- Multicomposants, afin d’appréhender ces systèmes complexes composés d’une multitude d’équipements ayant chacun des cycles de vie propre. L’étude propose ainsi un périmètre élargi via une décomposition du numérique en trois composantes matérielles que sont les terminaux, les réseaux et les centres de données.
Les principaux enseignements
- Des trois composantes du numérique qui constituent le périmètre de l’étude, ce sont les terminaux (et en particulier les écrans et téléviseurs) qui sont à l’origine de 65 à 90 % de l’impact environnemental, selon l’indicateur environnemental considéré.
- Parmi tous les impacts environnementaux, l’épuisement des ressources énergétiques fossiles, l’empreinte carbone, les radiations ionisantes, liés à la consommation énergétique, ainsi que l’épuisement des ressources abiotiques (minéraux et métaux) ressortent comme des impacts prédominants du numérique.
- De toutes les étapes du cycle de vie des biens et services considérées, la phase de fabrication est la principale source d’impact, suivi de la phase d’utilisation, concentrant souvent à elle deux jusqu’à 100 % de l’impact environnemental, selon l’indicateur environnemental considéré.
L’étude confirme également la complexité de l’exercice et identifie les obstacles les plus structurants à lever afin d’améliorer la quantification de ces impacts, ainsi que les pistes d’actions pour les réduire. Ce travail est ainsi une première étape d’un chantier à plus long terme. Il confirme en effet :
- le besoin d’approfondir la connaissance des impacts, de collecter des données et de permettre à terme l’ouverture de bases de données publiques sur la question ;
- le besoin de disposer de données fiables pour affiner la modélisation des différentes composantes du numérique ;
- la nécessité d’agir sur l’impact environnemental des « équipements » et « matériels » (allongement de la durée d’usage des équipements numériques, réparabilité, durabilité, réemploi, reconditionnement, économie de la fonctionnalité ou réparation) sans occulter l’interdépendance entre réseaux, centres de données et terminaux ;
- la nécessité d’impliquer tous les acteurs, c’est-à-dire :
- les entreprises qui conçoivent des services numériques, matériels ou logiciels, pour aller vers de l’écoconception ;
- les usagers particuliers et professionnels qui doivent être sensibilisés à un usage vertueux, sobre des services numériques .
Sur la base de ces premiers travaux, l’ADEME et l’Arcep ont également lancé une analyse prospective des impacts du numérique à 2030 et à 2050 sur la base des 4 scénarios ADEME. Les résultats sont prévus pour mai 2022.
Documents associés :
- La note de synthèse réalisée par l’ADEME et l’Arcep
- Le 1er volet de l’étude (revue méthodologique)
- Le 2ème volet de l’étude (évaluation de l’impact environnemental)
- La synthèse du 2ème volet de l’étude
Annexes
BILAN DE LA MISSION COMMUNE ADEME – ARCEP POUR MESURER L’IMPACT ENVIRONNEMENTAL DU NUMÉRIQUE EN FRANCE
La transition numérique a profondément bouleversé les codes de l’ensemble des secteurs d’activités (courriels, clouds, etc.), les modes de vie (jeux vidéo, communication via les smartphones, vidéos haute qualité à la demande, etc.) et les habitudes de consommation (commerce en ligne, achats nombreux et fréquents d’équipements électroniques, etc.). Du domicile au travail, en passant par l’entreprise, la ville et les services publics, le numérique est au cœur de notre quotidien. Souvent perçu comme positif car créateur d’emplois, de croissance et de nouveaux modèles économiques, il est aussi responsable de 2,5 % de l’empreinte carbone de la France et consommateur de ressources non renouvelables. Afin de répondre aux objectifs 2030 et 2050 de la Commission européenne et aux engagements pris dans le cadre de l’Accord de Paris, le Gouvernement a confié à l’ADEME et l’Arcep une mission pour mesurer l’empreinte environnementale du numérique en France et identifier des leviers d’actions et des bonnes pratiques pour le réduire.
L’ADEME et l’Arcep présentent aujourd’hui les résultats de cette étude sur l’impact environnemental du numérique en France.
Quels sont les principaux impacts environnementaux des services numériques en France en 2020 ?
A l’échelle de la France :
- La consommation électrique pour les services numériques en France est estimée à 48,7 TWh, ce qui peut être comparé à la consommation totale de 475 TWh [1], signifiant que les services numériques sont responsables de 10% de la consommation électrique française, soit l’équivalent de la consommation annuelle de 8 282 000 foyers français.
- L’empreinte carbone des services numériques en France est égale à 16,9 Mt CO2 eq., ce qui peut être comparé au 663 MT CO2 eq. total [2], signifiant que les services numériques sont responsables de 2,5% de l’empreinte carbone de la France – légèrement supérieurs à l’équivalent du secteur des déchets en France (2%).
- 62,5 millions de tonnes de ressources (MIPS [3]) sont utilisées par an pour produire et utiliser les équipements numériques.
- 20 millions de tonnes de déchets produits par an sur l’ensemble du cycle de vie
À l’échelle d’un citoyen :
- Les impacts moyens annuels de l’utilisation du numérique sur le changement climatique sont similaires à 2 259 km en voiture / habitant.
- La production de déchets est égale à 299 kg / habitant sur l’ensemble du cycle de vie des équipements (de leur fabrication à leur fin de vie).
- La masse de matériaux déplacée durant la phase de fabrication est égale à 932 kg / habitant.
Quelles sont les principales causes responsables de l’impact environnemental du numérique ?
Les premiers responsables des impacts du numérique sont les terminaux « utilisateur », c’est-à-dire les appareils électroniques (entre 64% et 92% des impacts, en premier lieu les écrans de télévision), suivi par les centres de données (entre 4% et 22% des impacts) et les réseaux (entre 2% et 14 %).
Un second niveau de distribution d’impact est présenté selon les phases du cycle de vie (fabrication, distribution, utilisation et fin de vie). Les résultats montrent que la phase de fabrication est la principale source d’impact pour les trois tiers (terminaux utilisateur, réseaux et centre de données), suivie de la phase d’utilisation. Ce dernier point confirme d’ailleurs l’importance des politiques publiques et réglementaires pour allonger la durée d’usage des équipements numériques à travers la durabilité des produits, le réemploi, le reconditionnement, l’économie de la fonctionnalité ou la réparation.
Concernant la fabrication, les impacts sont conséquents pour deux raisons principales :
- Les équipements relatifs aux services numériques sont très demandeurs en énergie pour leur fabrication. Cette énergie est principalement produite dans les pays avec un mix énergétique fortement carboné (comme en Asie ou aux États-Unis), ce qui entraîne de forts impacts.
- Ces équipements utilisent une quantité importante de métaux stratégiques. Ces matériaux requièrent également beaucoup de ressources et d’énergie pour leur extraction et génèrent beaucoup de déchets. Cela explique les impacts élevés sur les ressources et la production de déchets.
Concernant l’utilisation, les impacts viennent majoritairement de la consommation d’électricité. L’impact du transport est quant à lui marginal relativement aux phases d’utilisation et de fabrication du numérique.
La fin de vie des équipements numériques présente des impacts négatifs si ces équipements ne sont pas triés et collectés pour alimenter les filières de recyclage et de valorisation, et donc peuvent avoir des impacts positifs grâce au recyclage.
Détails de l’impact environnemental des services numériques
Afin de fournir une analyse complète des causes d’impact environnemental du numérique, l’ADEME avec l’Arcep a étudié chaque segment des services numériques indépendamment : les terminaux utilisateurs, les réseaux et les centre de données.
- Segment 1 : Les terminaux utilisateurs
Les terminaux utilisateur représentent une large variété d’équipements, avec des impacts environnementaux et des quantités variées. Globalement, les téléviseurs sont les principaux responsables des impacts (entre 11% et 30%), notamment en raison du nombre important de matériaux et d’équipements nécessaires à leur fabrication. Ensuite, les autres appareils présentant un impact environnemental significatif (entre 5% et 15%) sont les suivants :
• Ordinateurs portables
• Tablettes
• Smartphones
• Ordinateurs fixes
• Box TV
• Consoles de jeux vidéo de salon
• Imprimantes
• Autres écrans
- Segment 2 : Les réseaux
Les réseaux peuvent être divisés entre réseaux fixes (xDSL, FFTx), et réseaux mobiles (2G, 3G, 4G, 5G). Bien que la séparation entre les deux types de réseaux ne soit pas totale (certains équipements sont communs), il est possible de distinguer les impacts des deux types de réseau individuellement.
A l’échelle de la France, les réseaux fixes génèrent plus d’impact que les réseaux mobiles (entre 75% et 90%, contre entre 10% et 25%). En effet, les réseaux fixes consomment plus d’électricité en phase d’utilisation, et requièrent plus d’équipements, notamment du fait des box installées chez les utilisateurs. Mais, rapporté à la quantité de Go consommée sur chaque réseau, l’impact environnemental des réseaux fixes devient inférieur à celui des réseaux mobiles. Par Go consommé, les réseaux mobiles ont près de trois fois plus d’impact que les réseaux fixes pour l’ensemble des indicateurs environnementaux étudiés. Néanmoins il s’agit d’une allocation comptable de l’impact par Go à but illustratif qui ne vaut pas pour comparaison de l’efficacité des réseaux fixes et mobiles.
- Segment 3 : Les centres de données ou « datacenters »
Les centres de données sont divisés en différents types : public local, public national, entreprises, colocation et HPC (High performance computing). Les types de centres de données ayant les impacts environnementaux les plus importants sont :
- Les datas centers colocations (entre 35% et 50% des impacts) ;
- Les datas centers entreprises (entre 30% et 45% des impacts) ;
- Les datas centers publiques nationales et locales (entre 5% et 15% des impacts) ;
- Les datas centers HPC (entre 0,1 et 5% des impacts).
Les impacts environnementaux sont principalement dus au nombre de m² de salle informatique, au nombre de serveurs, de stockage, ou encore à la consommation électrique. En analysant plus en détail les équipements constituant un centre de données, ce sont les serveurs en particulier et le stockage dans une moindre mesure qui génèrent le plus d’impacts.
Les principaux leviers d’action pour réduire l’impact écologique du numérique
Les résultats de l’étude de l’ADEME avec l’ARCEP montrent l’importance d’utiliser une approche multicritère pour étudier les impacts environnementaux des services numériques. En effet, bien que les impacts sur le changement climatique soient importants, d’autres impacts comme l’épuisement des ressources abiotiques (minérales et fossiles) ou les radiations ionisantes représentent également des points d’attention prédominants.
L’analyse des impacts environnementaux du numérique démontre que c’est la phase de fabrication qui est la principale source d’impact (78 % de l’empreinte carbone), suivie de la phase d’utilisation (21 % de l’empreinte carbone), ce qui confirme l’importance des politiques visant à allonger la durée d’usage des équipements numériques à travers la durabilité des produits, le réemploi, le reconditionnement, l’économie de la fonctionnalité ou la réparation.
L’étude confirme la complexité de l’exercice et identifie les obstacles les plus structurants à lever afin d’améliorer la mesure. Ce travail d’évaluation est une étape d’un chantier à plus long terme pour :
- affiner et diffuser une méthodologie éprouvée et opérationnelle : certains aspects doivent encore être précisés et la méthodologie diffusée plus largement. ;
- permettre l’accès à un plus grand nombre de données sur l’impact environnemental multicritère (d’inventaire des matériaux nécessaires et d’impact multicritère). Concernant les données d’inventaire, elles sont bien souvent soumises au secret des affaires et comprennent des informations sensibles pour les acteurs du secteur. Concernant les données d’impact, il n’existe pas, pour l’heure, de base de données à jour suffisamment exhaustive, complètement auditée et libre d’accès. C’est l’objectif que vise l’ADEME avec la mise en place de la base impact [4]. Par ailleurs, l’extension du pouvoir de collecte de l’Arcepdevrait représenter un élément important permettant d’avancer plus efficacement [5].
Les travaux des deux institutions déjà engagés devraient aider à lever certains des obstacles identifiés. En particulier, les travaux de l’ADEME afin de préciser les méthodologies existantes pour des catégories de produits continuent.De son côté, l’Arcep poursuit ses travaux pour la définition d’un baromètre environnemental du numérique.
NB : L’ADEME et l’Arcep ont également lancé une analyse prospective des impacts du numérique à 2030 et à 2050 sur la base des 4 scénarios ADEME. Les résultats sont prévus pour avril 2022.
Notes :
[1] Source: IEA https://www.iea.org/data-and-statistics/data-browser?country=FRANCE&fuel=Electricity%20and%20heat&indicator=TotElecCons
[2] Année 2019. Source : Ministère de la transition écologique https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/estimation-de-lempreinte-carbone-de-1995-2019#:~:text=M%C3%A9thodologie-,En%202019%2C%20l'empreinte%20carbone%20est%20estim%C3%A9e%20%C3%A0%20663%20millions,France%20a%20augment%C3%A9%20de%207%20%25
[3] MIPS - Material Input per Service-unit : L’indicateur MIPS permet de calculer les ressources utilisées pour produire une unité de produit ou de service avec une approche d'analyse de cycle de vie (Schmidt-Bleek, 1994)
[4] https://base-impacts.ademe.fr/
[5] La loi confère à l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) un pouvoir de collecte de données relatives à l'impact environnemental du numérique. Cela devrait permettre, par la mise en place d’un baromètre environnemental, d’ouvrir l’accès à certaines données nécessaires pour affiner la mesure de l’impact environnemental du numérique en France.