Le président de l’Arcep revient dans le Journal du net sur la démarche engagée par l’Autorité dans le domaine de l’internet des objets. Il annonce la mise en place d’un guichet startup pour être plus à l’écoute du marché et favoriser les expérimentations menées par les jeunes pousses du secteur.
Ils consentiront aux investissements nécessaires au développement de cette technologie si l’Europe revient sur le principe de la neutralité du Net, explique le président de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes.
JDN : L’Arcep a lancé fin juillet 2016 une consultation publique pour préparer un livre blanc sur la révolution de l’Internet des objets. Quel rôle pourrait jouer l’institution dans l’encadrement de ce secteur naissant ?
Sébastien Soriano : Nous avons voulu “désiloter” en invitant toutes les autorités et administrations concernées à travailler ensemble sur l’Internet des objets : CNIL, agence de sécurité des systèmes d’informations, Bercy, agence des fréquences, ministère du logement, France Stratégie. C’est donc d’abord sur un livre blanc collectif que nous consultons. Nous en profitons aussi pour recueillir les retours des nombreux acteurs de l’IoT sur la feuille de route propre cette fois à l’Arcep. Les deux documents définitifs seront dévoilés le 7 novembre, dans le cadre d’une conférence internationale sur les objets connectés. Une dizaine de personnes, venues des différentes directions (fixe, mobile…) de l’Arcep, travaillent sur ce programme en parallèle de leurs activités.
Nous avons commencé à avancer sur une première mission, probablement la plus importante : décider du type de paysage concurrentiel que la France veut voir émerger dans ce nouveau champ d’activité. Deux options se présentent, le très organisé jardin à la française ou le foisonnement du jardin à l’anglaise. Si nous avions opté pour la première alternative, nous aurions poussé pour définir rapidement des standards pour mettre fin aux débats technologiques et permettre un développement simplifié du secteur. Mais cette solution présente un défaut : nous n’aurions jamais été sûrs à 100% que la techno choisie était vraiment la meilleure au sens business, c’est-à-dire qu’elle corresponde aux attentes du marché. Voilà pourquoi, après d’importants débats, nous nous sommes orientés vers la seconde. Le marché décidera lui-même de la ou des technologies les plus adaptées à chaque situation. Laissons les entrepreneurs faire leur métier et utilisons la régulation pour ouvrir les opportunités business plutôt que les brider.
Concrètement, comment l’Arcep compte-elle favoriser le développement de nouveaux acteurs ?
En ne prenant pas, pour le moment, de décision règlementaire, afin de ne pas écraser l’innovation. Nous nous sommes réorganisés en interne pour être plus à l’écoute du marché. L’ancienne direction “accès mobile et relations avec les équipementiers” est récemment devenue la direction “mobile et innovation”. En son sein, cinq personnes suivent avec attention les “nouveaux barbares”, notamment ceux du monde de l’IoT. Ils échangent avec les acteurs qui connaissent bien le monde de l’entrepreneuriat : dans les écosystèmes, Bpifrance…
Cette équipe est notamment en charge du guichet pour les start-up récemment annoncé par l’Arcep. Les jeunes pousses qui veulent par exemple créer de nouveaux réseaux pour faire communiquer les objets connectés pourront intégrer ce “bac à sable”. Elles y testeront leurs technos sans devoir nécessairement respecter l’ensemble du cadre règlementaire qui s’applique normalement aux entreprises du secteur. Ainsi ces textes, conçus au départ pour encadrer l’activité de grands opérateurs mobiles, n’empêcheront pas de petits acteurs de se lancer sur le marché. Cet outil vient d’être créé par la loi pour une République numérique d’Axelle Lemaire, dont l’encre est à peine sèche. La taille du bac à sable et la durée maximale des expérimentations restent encore à définir.
Allez-vous ouvrir de nouvelles bandes de fréquences libres pour l’IoT, qui pourront être utilisées par n’importe quelle entreprise pour créer son réseau de transmission d’informations, contrairement aux bandes de fréquences “mobiles”, exploitables exclusivement par les opérateurs ?
Nous avons lancé une consultation sur cette question avec l’agence des fréquences mais il est encore trop tôt pour communiquer les résultats. Nous réfléchissons au poids que nous voulons donner aux réseaux IoT basés sur les bandes libres et ceux basés sur les bandes “mobiles”. Pour le moment il n’y a pas d’urgence à décider : les bandes de fréquences libres sont très loin d’être saturées, la quantité de données qui y transite est encore faible.
Mais attention, l’ADN de l’Arcep est de favoriser la concurrence. Je ne souhaite pas que les opérateurs mobiles traditionnels préemptent le monde de l’Internet des objets sous prétexte que ce sont les acteurs en place, même s’ils ont leur légitimité. Notre rôle est de laisser entrer de “nouveaux barbares” dans la place. Nous n’avons aucune intention de favoriser les réseaux GSM par rapport aux autres.
Où en êtes-vous dans vos discussions avec les opérateurs sur la 5G, ce nouveau type de réseau qui pourrait accélérer le déploiement de l’IoT ?
L’Europe veut se positionner de manière forte sur la 5G. Je suis très attentif à la volonté de la Commission européenne, et notamment celle du commissaire à l’économie numérique Günther Oettinger, de développer une vision qui soit industrielle et non pas seulement tournée vers les consommateurs.
Mais nous faisons actuellement face à une situation de bras de fer. La majorité des opérateurs européens ont signé un document publié début juillet 2016, le manifeste pour la 5G. Ce rapport se conclut par un chantage : les acteurs du monde des télécoms ne veulent bien consentir aux investissements nécessaires au développement de la 5G que si les régulateurs d’Europe reviennent sur le principe de la neutralité du Net.
Impossible selon eux de traiter l’ensemble des informations qui circulent sur leur réseau de la même manière tout en créant une technologie comme la 5G, qui permettrait de gérer des classes de flux différenciées, plus ou moins critiques. Ce n’est pas une bonne méthode. C’est par le dialogue entre l’industrie et les régulateurs que l’on trouvera les solutions, pas par du chantage à l’investissement.
En toute amitié, ces entreprises devraient faire tourner leur département innovation plutôt que leur service lobbying… Si l’industrie mobile n’investit pas dans l’IoT, d’autres technologies prendront la place ! Cette culture de l’ancien monde, où les grandes entreprises en place attendent tout des pouvoirs publics, est obsolète.
Au-delà de la 5G, les principales questions liées à l’IoT ne sont-elles pas internationales ? Si oui, les activités conduites par l’Arcep dans le secteur sont-elles vraiment utiles ? L’organisation ne fait-elle pas de la figuration ?
Le terrain de jeu de l’IoT est bien entendu mondial. L’un de nos axes de travail est de suivre les travaux réglementaires et de normalisation conduits à l’international et en Europe. L’Arcep peut avoir un poids important dans les discussions. L’année 2017, au cours de laquelle je présiderai le BEREC, qui est l’organe des régulateurs européens, sera en particulier marquée par la révision de cadre européen de régulation des télécoms. Il existe un écosystème économique dynamique en France sur l’IoT. Plus nous auront un attelage économique et règlementaire puissant à l’échelle nationale, plus nous seront écoutés à l’international. Le travail conduit par l’Arcep et ses partenaires est donc central et il a d’ailleurs été fortement soutenu lors des consultations que nous avons réalisées l’an dernier autour de la revue stratégique qu’a conduit l’Arcep.
Qui est Sébastien Soriano, le nouveau président de l’Arcep ?
Celui qui remplace Jean-Ludovic Silicani a déjà passé 4 ans chez le gendarme des télécoms et 3 à l’Autorité de la Concurrence, avant de se rapprocher de Fleur Pellerin.
Propos receuillis par Lélia De Matharel