Je souhaite vous faire part de l’analyse que nous avons développée, au regard de la situation actuelle. Mais rappelons d’abord les faits :
Le 7 mars 2000, nous avons transmis notre proposition au gouvernement en vue de sélectionner les quatre opérateurs de télécoms mobiles de 3 ème génération. Ce texte comportait le texte de l’appel à candidatures, fondé sur une méthode de soumission comparative. Il devrait être publié par le gouvernement, mais le résultat des enchères britanniques et les perspectives d’enchères allemandes l’ont conduit à s’interroger sur l’équilibre financier de ces attributions et sur la pertinence même de la méthode de sélection retenue par l’Autorité.
Maintenant, quelques commentaires sur la démarche : celle ci avait été longuement concertée ; elle avait donné lieu à dix huit mois de réflexion, à une consultation publique qui avait reçu 33 réponses, ainsi qu’à des travaux intenses avec la Commission consultative des radiocommunications. Cette démarche a été strictement conforme à la loi. Elle n’a nullement empêché un dialogue ouvert et constructif avec le gouvernement sur la compréhension des enjeux essentiels, qui a abouti à un plein accord préalable à la transmission de nos propositions.
Ces propositions étaient mûrement réfléchies : elles devaient favoriser l’innovation, préserver les principes d’aménagement du territoire, répondre à des missions de service universel et favoriser le développement de la société de l’information, projet majeur du gouvernement auquel nous adhérons pleinement et auquel nous avons à contribuer dans le cadre de nos compétences. Ces principes directeurs inscrits dans la loi doivent guider notre action de régulateur.
Fin février, nous avons donc conclu en faveur de la soumission comparative. Ce n’est pas une procédure obscure contrairement à ce que je vois parfois écrit ici ou là ; c’est une procédure encadrée par des critères très précis. Ce n’est pas un examen mais plutôt un concours basé sur des critères et des notations explicites annoncés dans la phase d’appel à candidatures et repris ensuite dans les rapports d’instruction des candidats, rapports qui sont rendus publics. Ce n’est en rien la validation d’une forme de préselection officieuse ; les candidats doivent au contraire apporter leur meilleure proposition. Oui, dans cette approche, nous avions la préoccupation que les opérateurs en place aient, sinon la certitude de gagner, au moins la possibilité de concourir.
Nous n’avons donc pas retenu le principe des enchères. Pourquoi ? La première raison, c’est qu’il y a eu une consultation. En vous reportant page 35 de la synthèse de la consultation que nous avions faite sur l’introduction de l’UMTS en France, vous pourrez relire qu’une écrasante majorité d’acteurs se prononçait contre les enchères. Une seule contribution réservait sa position sur le sujet.
La deuxième raison, c’est qu’à l’époque, on voyait les Etats-Unis comme une des références en la matière. Or, ce qui s’est passé aux Etats-Unis ne s’est pas révélé convaincant ou favorable au marché, loin de là. Le développement du marché des mobiles en Europe n’a visiblement pas souffert de la soumission comparative, jusqu’à présent largement retenue.
Troisième raison : la 3ème génération de mobiles représente une nouvelle génération, de nouveaux services, mais sera-t-elle véritablement un nouveau marché ? Ne sous-estimons pas la continuité que représentent, dans une transition de durée inconnue, les questions de fréquences ou de sites.
Enfin, un des éléments contraignants d’une procédure d’enchères, c’est que sa nature même en fait un processus non maîtrisable, laissé au seul choix des acteurs, qui conduit à une décision sur le seul critère financier ; et ceci n’assure en aucun cas que les acteurs les plus riches soient les plus performants. De plus, cette compétition financière se joue dans un contexte particulier à savoir, qu’en France, comme ailleurs, les opérateurs 2G en place sont obligés de gagner pour survivre ou se retrouvent, à tout le moins dans leur structure actuelle, sur la voie de l’extinction programmée.
La Commission européenne, au nom de la subsidiarité, a laissé aux Etats membres le choix de leur méthode et la plupart de ces Etats avaient choisi la soumission comparative. Or, les résultats des enchères britanniques ont surpris tout le monde, en Angleterre comme en Europe. Leurs conséquences ont provoqué, c’est un fait, une intense réflexion de tous, de la part des gouvernements, des régulateurs et de tous les acteurs, dans plusieurs pays d’Europe. Le gouvernement français regarde sans aucun doute les recettes budgétaires potentielles qu’il peut tirer d’enchères, mais je ne doute pas qu’il s’attache aussi à trouver l’équilibre dans l’équation économique associant le contribuable, le consommateur et l’actionnaire.
Quelques observations sur les enchères anglaises et les enseignements que l’on peut en tirer :
Il n’apparaît pas que le déroulement du processus ait reposé sur des anticipations économiques rationnelles. Les services et les prix acceptables restent largement méconnus et la question du partage de la valeur entre opérateurs de réseaux et fournisseurs de services pourrait ouvrir un vrai conflit concurrentiel. Il n’est pas alors facile d’établir un plan d’affaires certain, ou simplement crédible. Et pourtant, le montant des enchères britanniques semble avoir atteint pour certains concurrents 3 à 4 fois le montant maximum que ceux-ci avaient initialement retenu comme plafond. Est-ce que cela peut rester sans conséquences ? Je ne le pense pas.
Par ailleurs, les enchères doublent le coût d’établissement du réseau ; si ce coût est répercuté sur le seul consommateur, cela fait une charge moyenne de 2000 F par an par consommateur. Alors, est-ce l’actionnaire qui supportera cette charge ? Il paraît difficile de concevoir que ni l’utilisateur, ni le déploiement du réseau, dans son rythme et sa qualité, n’en soient pas affectés. Il y a donc risque de compromettre le développement d’une vraie 3ème génération et je pense là d’abord aux consommateurs et à l’économie qui les environne.
Le paysage industriel et concurrentiel européen est également en cause. Lorsque le processus a été initié par Bruxelles , l’intention était d’ouvrir la 3ème génération sur des bases larges dans le cadre d’une concurrence totalement ouverte.
L’addition de décisions individuelles des pays de l’Union - relevant assurément des Etats - et la multiplication des situations d’enchères conduirait assurément à ce que seuls quelques acteurs, financièrement très puissants, conservent la capacité d’obtenir des licences dans plusieurs pays. Moins de concurrence signifierait alors moins de perspectives pour les entreprises françaises de participer à cette concurrence.
L’ART considère, en l’état actuel des éléments qu’elle a constatés et des multiples contacts qu’elle a eu, que les raisons qui l’ont poussée à choisir la sélection comparative il y a deux mois sont toujours valables. Je n’oublie nullement dans ce raisonnement l’équation économique et sa dimension budgétaire dont la définition, je le souligne, relève d’une responsabilité qui n’est pas la nôtre mais qui doit rester en cohérence avec nos décisions.
Cette cohérence a toujours été présente dans notre esprit puisque notre proposition du 7 mars était complétée de suggestions sur l’évolution du niveau des redevances au cours des 15 années de la licence, redevances qui sont fixées par décret.
Le gouvernement conduit sa réflexion, nous aussi, et je ne manque pas, dans différents contacts, de les porter à la connaissance de nos interlocuteurs. Une solution raisonnable peut être trouvée à travers la détermination a priori de la recette attendue, quant à son seuil et ses modalités. Je pense ici en pratique à un ticket d’entrée, mais également aux redevances et à leur assiette ; le rythme de leur progression mérite une réflexion plus élaborée. L’Autorité poursuit sa mission dans les termes que la loi a défini, dans le souci de favoriser le développement pour tous du marché, dans ses investissements et les services associés, et avec la volonté d’éclairer le gouvernement à travers les avis qu’il souhaitera solliciter auprès de nous .
Les documents associés
Synthèse de la consultation publique sur l'introduction de l'UMTS en France