J.M. Hubert (ART): "Le débat rude engagé avec France Télécom sur le dégroupage ne doit pas masquer des avancées récentes tout à fait réelles. l’ART sera pleinement vigilante au respect des engagements qui ont été pris."
Silicon. La rentrée télécoms sera sans doute encore marquée par le conflit entre l'ART et France Télécom. Comment la préparez-vous?
JM Hubert. Avec sérénité. Il est évident qu'un processus visant à ouvrir le marché ne peut être considéré que comme une contrainte par l'ancien monopole. Avant de parler de conflit, il faut savoir que de tels dossiers donnent lieu à des négociations intenses qui débouchent parfois , il est vrai, sur une saisine des juges. Il y a dix jours encore, la Cour d'appel de Paris a confirmé l'application de l’une de nos décisions d'arbitrage sur l’ouverture des services à revenus partagés à la concurrence. Cette décision judiciaire conforte notre volonté de favoriser la concurrence, dans ce domaine comme dans d’autres, avec équité, mais avec fermeté.
On nous fait observer ici ou là, principalement dans le cas du dégroupage, que nous ne sommes pas encore allés jusqu'au bout de nos possibilités d’action, puisqu’il n’y a pas eu de sanctions après nos mises en demeure de France Télécom. Mais il faut considérer deux choses.
D'une part la complexité, juridique et technique, de la mise au point du dégroupage. Et puis, l'impact de la mise en demeure, qui a déjà conduit l'opérateur à modifier son offre de référence.
C'est un long débat très rude que nous avons engagé avec l'opérateur historique: mais il ne s'agit pas de s'enfermer dans des positions théoriques. Au contraire, il nous faut privilégier les chemins du pragmatisme et de l’efficacité pour le marché.
Silicon. Ce pragmatisme peut-il encore s'appliquer sur les deux grands chantiers de la rentrée, UMTS et dégroupage?
JMH. Il est certain qu'il nous faut dégripper la situation sur le dégroupage...
Silicon (interrompant) Le dégrippage du dégroupage?
JMH (souriant). En quelque sorte !
Silicon. S’agissant de l ‘UMTS ?
JM Hubert. Je ne saurais accepter l’idée que les charges découlant des licences UMTS attribuées à deux opérateurs, charges liées à l’investissement mais aussi au coût de la licence, puissent peser sur le consommateur, et ceci dés maintenant, alors même que le décollage de ce marché n’interviendra pas avant 2004 !
Ceci justifie amplement l’analyse économique et les suggestions au Gouvernement sur le mode de financement des licences que le Collège de l’Autorité a établi le 31 mai dernier en publiant les résultats de l’appel à candidatures
Silicon. On peut trouver un troisième chantier, déclenché par le comité interministériel sur l'aménagement du territoire de juillet. Hauts débits et mobiles: les télécommunications sont désormais au coeur du débat. Ce qui pourra nourrir de belles polémiques, comme celle qui se dessine sur EDF et le RTE (www.silicon.fr/a1706: Réseau à Très haut risque d'Electrocution). En voici une autre qui nous pend au nez, en quelque sorte: ne faudra-t-il pas revoir la notion de service universel, qui a remplacé celle de service public dans la loi de 1996?
JM Hubert. Je tiens d’abord à souligner que, contrairement à ce qui a été dit lors de certains débats d’Hourtin, la loi de 1996 n’a pas ignoré l'aménagement du territoire. Au contraire, elle a de manière explicite assigné à l'ART et au ministère, qui ont en charge la régulation des télécommunications, la tâche de veiller à la prise en compte de l’intérêt des territoires et des consommateurs dans l’accès aux services et aux infrastructures. L'ART a souvent été la première, et parfois la seule, à prôner des dispositions qui ont ensuite été adoptées par la loi. Ainsi, la possibilité pour les collectivités d’installer des fibres noires dans des conditions satisfaisantes.
Pour prendre l'exemple des mobiles, j'estime que le marché est, pour l’essentiel, en mesure de répondre au renforcement de la couverture, complété le cas échéant par des mécanismes d’itinérance locale, et épaulé dans certains cas, si elles le souhaitent, par les collectivités locales. Le principe reste entier : le développement d'un réseau est la responsabilité première des opérateurs.
Sur la deuxième partie de votre question, une chose doit être claire : la définition du service universel est une responsabilité politique, qui relève des pouvoirs publics et du législateur.
Quant à l’intervention possible du RTE, je note une utile réflexion sur les questions qu’elle pose ; je n’ai pas perçu de polémique sur cette affaire.
Silicon. Restent les hauts débits. Comment les inclure dans l'aménagement du territoire pour créer ce que certains appellent un "droit à l'accès"?
JMH. Pour commencer, il ne faut pas enterrer les bas débits qui sont utilisés quotidiennement par la très grande majorité des internautes français. Et de nouvelles dispositions, comme l'interconnexion forfaitaire, ont récemment été mises en place et commenceront juste à l’automne à déployer leurs effets.
Dans les hauts débits, plusieurs offres se développent simultanément : le câble tout d’abord, qui croît de 10% par an ; la boucle locale radio, qui connaît en France un véritable démarrage malgré le retournement de conjoncture qui a touché l’ensemble du secteur au moment même où l’ART venait de conduire le processus de sélection ; l’ADSL, à propos duquel l’ART vient de donner son accord sur de nouveaux tarifs Nettisimo et IP/ADSL qui sont déterminants pour la pérennité économique des offres des FAI.
C'est la combinaison de ces offres technologiques complémentaires qui offrira la probabilité qu'en tout point du territoire au moins l'une d'entre elles puisse être disponible dans un délai raisonnable.
Silicon. l'ADSL, la boucle locale radio, l'UMTS. Pour la première, on retombe sur le dégrippage du dégroupage. Pour les deux autres... de profundis?
JMH. N’oubliez pas le câble qui représente la bagatelle de 8 millions de prises raccordables !
Quant aux critiques qui ont été exprimées ici à Hourtin sur le mode d'attribution des licences BLR, regardez ce qui se passe dans ce domaine ailleurs en Europe … Au Royaume-Uni, par exemple, où les licences ont été vendues aux enchères, l’encaissement de l'Etat est moindre que, chez nous, les recettes attendues des redevances ! Et, surtout, la couverture est réduite à peine à un tiers du territoire. Aujourd'hui, la France est sans aucun doute le pays d'Europe où le potentiel de la boucle locale radio est le plus fort.
Et enfin, sur le dégroupage, les polémiques ne doivent pas masquer des avancées récentes tout à fait réelles. Depuis le début de l'été, sur 34 commutateurs à Paris, 30 ont été dotés de "salles de cohabitation". Cela ne suffit certes pas et il ne faut pas que le dégroupage reste cantonné à la région parisienne. L’ART demeurera particulièrement vigilante à la pleine application des engagements pris en ce domaine par France Télécom, et au passage à l’acte par les opérateurs les plus motivés et les plus impliqués dans le dégroupage.
Je dis souvent que la concurrence n’est pas une fin en soi ; ceci est aussi valable pour le dégroupage où l’objectif n’est pas la voix, mais bien l’accès à Internet.
Silicon. Reste l'UMTS.
JMH. Ce sera également, le moment venu, une contribution importante à la mise à disposition de hauts débits et à l’aménagement du territoire ! Voici plusieurs mois que j'avance qu'il n'y aura pas de déploiement avant 2004. Chaque jour qui passe me semble confirmer cette perspective.
Qu’est-ce qui constituera la plateforme de démarrage de l’UMTS ? Quelle sera la " killer application ", comme on dit ? Il y a un an, on parlait de son intérêt pour les grands comptes ; aujourd’hui, on parle de jeux , de loisirs et de musique.
Ce qui compte, c'est l'adéquation nécessairement progressive entre le développement de l'offre et celui de la demande.
Silicon. L'été a vu aussi une initiative forte de la Commission européenne, qui a perquisitionné chez les opérateurs mobiles anglais et allemands, soupçonnés d'entente sur les tarifs internationaux des appels mobiles, le "roaming". Comment réagissez-vous à l'irruption d'un nouveau régulateur, européen...?
JMH. la nécessité d'une harmonisation européenne est évidente et souhaitable.
La directive-cadre à venir fixera le rôle de chacun. Pour ma part, je défends le principe de la subsidiarité s’appuyant sur une étroite concertation entre les régulateurs. Les contacts avec nos homologues européens sont quotidiens, et tout à fait efficaces.
Silicon. Reste encore le coût de la terminaison d'appel. Comment est-il possible qu'appeler un numéro Bouygues soit plus cher qu'un autre appel?
JMH. Voici bien un exemple de situation où le régulateur est forcément pris entre deux feux. Sans rentrer dans les complexités techniques, il faut arbitrer entre une apparence d'entente que peut traduire un tarif unique et la complexité pour l’utilisateur si on laisse la concurrence jouer sur la terminaison d'appel. Pour ma part, j'ai le sentiment qu'on va revenir à une situation harmonisée. Parce que le consommateur le voudra.
Silicon. Finalement, vous parlez bien souvent du consommateur...
JMH. C'est que l’ouverture à la concurrence au bénéfice du consommateur forme une des principales lignes directrices de l'action du régulateur. Faute d'un consommateur motivé et satisfait, il n'y a pas de marché!
Propos recueillis par Jean Rognetta