L'année 2010 a été une année de fixation du cadre réglementaire. Beaucoup d'observateurs ont voulu voir dans l'année 2011 le début du déploiement rapide de la fibre. Or, les différents acteurs sur le terrain, comme les collectivités, parlent plutôt de ralentissement, voire de blocage. Comment expliquer cette situation ?
Je ne pense pas qu'il y ait de blocage. Le cadre réglementaire vient à peine d'être précisé par l'ARCEP selon les principes fixés par la loi d'août 2008 LME et la loi fracture numérique de décembre 2009. N'oublions pas que c'est une nouvelle boucle locale optique, qui va être déployée pour la première fois à l'échelle nationale. C'est une infrastructure essentielle pour notre économie et notre société, et cela pour plusieurs décennies, peut être un demi-siècle. C'est à la fois un immense chantier sans aucun équivalent, et un enjeu considérable pour la compétitivité française et l'emploi ! Cela mérite qu'on s'applique sur la définition du mode opératoire. Je rappelle que l'Autorité a choisi pour ce nouveau réseau une régulation dite symétrique. Les opérateurs qui le souhaitent vont pouvoir maîtriser la chaine technique de bout en bout et se différentier sur les services. La loi a fixé le principe de la mutualisation des investissements, sorte de cohabitation imposée aux opérateurs. Le but est d'unir les capacités de financement des uns et des autres pour mieux couvrir le territoire, et c'est aussi de préserver la liberté de choix des consommateurs sur leur fournisseur de service. L'année 2010 a donc été consacrée au réglage des relations contractuelles entre les opérateurs sur ces questions de co-investissement, qui sont complexes au plan juridique et opérationnel. Fin du 1er trimestre 2011, le nombre de prises optiques mutualisées est en très forte croissance, il semble donc que le mouvement soit lancé dans les zones les plus denses du territoire.
Pour les zones moins denses, l'ARCEP est en train de finaliser avec les opérateurs et les collectivités locales le mode opératoire du co-investissement avec une mutualisation encore plus poussée. Il faut un système souple qui soit adapté à la capacité d'investissement relative des acteurs et qui permette également l'intervention des collectivités locales, dont certaines sont prêtes à lancer leur projet très haut débit.
Le nombre de prises progresse, mais le nombre d'abonnés reste faible…
C'est un constat et il y a une explication assez simple : en France, l'ADSL dégroupé est très performant, le triple- play est né en France, et c'est surtout le moins cher du monde ! Les consommateurs sont donc plutôt satisfaits, ce qui les rend plus patients vis-à-vis du très haut débit, dont les opérateurs ne parlent d'ailleurs pas beaucoup. Dans les zones non dégroupées, notamment les zones rurales où il n'y a pas eu d'intervention antérieure des collectivités, l'attente d'une amélioration du service est au contraire très forte. La perspective d'avoir rapidement du très haut débit se traduit par des taux de pénétration immédiats de 50 à 60 % voire plus, par exemple là où les collectivités et les opérateurs ont mis en place des sites pilotes de fibre à l'abonné. C'est une excellente indication pour les investisseurs, pour l'Etat et pour les collectivités locales.
Des associations comme l'Avicca se posent beaucoup de questions, notamment après l'appel à manifestation d'intention d'investissement des opérateurs, qui ne comporte ni engagements concrets, ni calendrier. Cela ne bloque-t-il pas les initiatives territoriales et notamment, leur accès aux financements du Grand Emprunt ?
C'est une question qui s'adresse au Gouvernement. Les intentions d'investissement des opérateurs sollicitées dans le cadre du programme très haut débit ne sont pas censées bloquer l'action publique locale car chacun reconnaît que celle-ci est indispensable. Elle est d'ailleurs encouragée par l'Etat qui se mobilise très fortement sur ce sujet pour la première fois depuis l'ouverture de ce marché à la concurrence dans les années 90 ! N'oublions pas que le chef de l'Etat a fixé l'objectif du très haut débit pour tous à 15 ans. Il n'y a donc pas de temps à perdre. Le grand emprunt devrait être mobilisable par les collectivités à la mi-2011, en même temps que par les opérateurs. Ce soutien simultané à l'investissement privé et à l'intervention des collectivités en tant qu'aménageurs est en soi un changement radical de méthode, si on veut bien se souvenir qu'il a fallu parfois plusieurs décennies pour avoir le téléphone dans certaines zones rurales… Des précisions seront certainement apportées par le CGI d'ici peu, notamment dans le cas où les travaux annoncés par les opérateurs dans les 3 ans ne sont pas réalisés.
Tant que ce délai de 3 ans n'a pas expiré, les collectivités ne peuvent-elles rien faire ?
Il faut garder à l'esprit que l'intervention des investisseurs privés ne portera au mieux que sur 15 ou 20% du territoire national en moyenne. Il reste donc 80% du territoire, voire beaucoup plus dans certains départements ruraux ou montagneux, où l'action publique va être indispensable. Mais la question posée est celle du financement de l'Etat. Les conditions détaillées d'éligibilité au grand emprunt seront certainement précisées sous peu par le Gouvernement.
Il existe un flou pour les territoires coincés entre des zones d'intention investissements et les zones de schémas départementaux. En même temps, les collectivités se plaignent de ne pas avoir une vision globale...
Pour que les collectivités locales puissent prendre des décisions et que les investisseurs privés puissent se porter candidats à des partenariats public-privé, il ne peut y avoir de zone de flou.
Outre les règles du jeu que doit préciser le CGI, certains outils existent déjà. La démarche de schéma directeur numérique inscrite dans la loi Pintat, soutenue par les préfets, est un excellent outil de concertation au plan local. Faute d'accord à l'amiable au plan local, cette même loi a prévu dans son article 24 une procédure permettant d'établir le périmètre d'action de chacun et qui doit faire l'objet d'un décret. Pour ma part, je ne suis pas certain que les opérateurs aient intérêt à retarder l'action publique. Sur ce sujet des infrastructures numériques très haut débit, qui est de toute évidence un investissement d'avenir, il y a désormais une vision politique ambitieuse, un cadre réglementaire incitatif à l'innovation et à l'investissement et enfin un soutien déterminé de l'Etat à l'action publique locale. Nulle part ailleurs en Europe je retrouve cette combinaison.
La monté en débit, telle que présentée aujourd'hui, ne risque-t-elle pas de conforter un monopole de fait de l'opérateur historique ?
Clairement non. Je rappelle que jusqu'à présent, les collectivités n'avaient d'autre choix que l'offre NRA-ZO. Cette offre n'était pas régulée et elle était jugée d'autant plus chère qu'elle ne préparait en rien le très haut débit. Dans le cadre de la nouvelle analyse de marché du haut débit en cours de finalisation, l'Autorité va pouvoir réguler une véritable offre de gros de France Télécom de réaménagement de ses sous-répartiteurs. L'ARCEP a 4 objectifs : faciliter l'action des collectivités locales et des opérateurs aménageurs, préserver la concurrence, réduire les coûts à la ligne et préparer le très haut débit grâce à l'installation systématique d'une collecte en fibre des sous-répartiteurs réaménagés.
Naturellement, c'est aux collectivités, dans le cadre de leur schéma directeur numérique, de définir où la montée en débit est nécessaire et où un déploiement de la fibre à l'abonné peut être envisagé sans étape intermédiaire.
Pour la partie armoire du sous-répartiteur, vous évoquiez récemment un coût compris entre 30 et 50 000 euros. Cette estimation est-elle partagée par France Télécom ?
Dans la mesure où l'offre est régulée, ces tarifs de gros doivent être orientés vers les coûts. Nous allons être extrêmement vigilants car la montée en débit répond à des besoins urgents, généralement dans les territoires ruraux, donc là où les ressources financières sont moindres.
Lors du dernier colloque de l'Arcep, Jean-Bernard Levy, le président du directoire de Vivendi, a indiqué que dans les prix pays pour le dégroupage, FT faisait payer la maintenance et renouvèlement du réseau cuivre, alors même que ce réseau ne serait pas renouvelé. Comment réagit l'Autorité ?
M. Levy faisait une référence implicite au modèle de calcul des coûts de l'opérateur historique utilisé par l'ARCEP. C'est un sujet sur lequel nous avons souhaité apporter plus d'explications car le consensus entre les acteurs du marché est largement préférable à la suspicion. Une consultation publique explicitant la méthodologie utilisée par l'ARCEP est en cours. Le débat argumenté va donc pouvoir se tenir sur cette base.
Sur le déploiement aérien de la fibre ERDF pose un certain nombre de conditions. Arguant de l'état d'une partie de ses poteaux - qui ne pourraient pas tous supporter de nouveaux câbles -, il en appelle à un financement mutualisé avec les opérateurs et les collectivités. Cela crée un nouveau point d'incertitude, non ?
Le déploiement de la fibre optique en aérien va en effet être nécessaire en milieu rural, même si la tendance avec les tempêtes est plutôt à l'enfouissement. Les syndicats d'électricité, qui regroupent les collectivités locales elles mêmes propriétaires des réseaux de distribution électriques, sont très volontaristes, ils se mobilisent sur les schémas directeurs. Par ailleurs, l'Autorité, qui a déjà régulé l'accès au génie civil de France Télécom, va prochainement engager les travaux pour réguler l'accès au réseau aérien de France Télécom, très présent dans les communes rurales. Enfin, la loi Pintat a clarifié au bénéfice des collectivités le régime de propriété des fourreaux télécom lors de l'enfouissement coordonné des réseaux électriques et télécom. Il y a donc de moins en moins d'incertitude.
Propos recueillis par Ariel Gomez et Thomas Pagbe