Le gouvernement a renégocié avec les opérateurs mobiles leurs obligations de couverture. Sébastien Soriano, président du gendarme des télécom, s'est beaucoup investi dans cet accord. Il en explique sa philosophie et l'impact attendu sur les territoires. Plus largement, il fait le point sur l'aménagement numérique du pays.
Vous vous êtes largement investi pour qu’un accord soit trouvé avec les opérateurs afin d’améliorer la couverture mobile du pays. Pourquoi ?
Le gouvernement a mis beaucoup d’énergie dès mai 2017 dans le déploiement des réseaux fixes très haut débit. C’est normal et c’est très bien. Cependant, à l’Arcep, nous avons noté que le mobile devenait l’accès à Internet de référence des français : notre dernier baromètre du numérique montre en effet que le mobile est devenu le premier terminal par lequel les français se connectent. Il fallait donc se soucier aussi très fortement de la couverture mobile du pays pour rattraper le retard pris sur la couverture 4G et, dans le même temps, se projeter vers la 5G. Nous avons donc proposé d’utiliser l’opportunité d’attribution de nouvelles fréquences pour bâtir un new deal du mobile. Le gouvernement, et particulièrement Julien Denormandie, a mis l’énergie et les arbitrages politiques nécessaires pour y arriver avec l’Arcep.
En quoi consiste l’accord qui a été conclu avec les opérateurs mobiles en janvier dernier ?
Au lieu de demander plus d’argent aux opérateurs, leurs obligations de couverture ont été renforcées. Nous nous sommes inspirés des suédois : ils ont imposé des conditions de couverture drastiques il y a 15 ans aux opérateurs et aujourd’hui ils sont numéro un des classements sur la couverture 4G en Europe, alors que la France, elle, est 24eme sur 28 ! L’accord prévoit que les quatre opérateurs mobiles installent chacun 5000 nouveaux sites, dont certains seront partagés. Il y aura donc au total autour de 10 000 nouveaux sites, ce qui est très significatif dans le maillage des territoires. Une bonne partie des engagements produira des effets d’ici à 2020.
Que peut-on en attendre ?
Cet accord permet une clarification très nette qui va soulager beaucoup de collectivités. La couverture du territoire en mobile n’est plus un sujet repoussé vers les collectivités lorsqu’on leur demandait de financer des pylônes. Il y a eu aussi des ambiguïtés permettant par le passé aux opérateurs de rejeter certaines demandes. Aujourd’hui ces ambiguïtés sont levées : les opérateurs n’ont plus le pouvoir de dire non et doivent par ailleurs tout payer. Ce new deal va permettre à la fois d’apporter le mobile là où il n’est pas et d’augmenter sa qualité là où il est déjà. C’est un mouvement de long terme, continu, qui va permettre un rattrapage mais aussi une meilleure qualité dans les lieux d’habitation, sur les axes de transport… Tous les sites mobiles devront basculer en 4G d’ici à 2020 à quelques exceptions près et il va y avoir une accélération très forte de la couverture sur les routes et les voies ferrées. les opérateurs n’ont plus le pouvoir de dire non et doivent par ailleurs tout payer.
Quel rôle auront les collectivités dans le choix des nouveaux sites ?
Sur les 5000 nouveaux sites de chaque opérateur, 3000 devraient être choisis en fonction des demandes remontées par les territoires. L’État, lui, définirait l’implantation des 2000 autres pour résorber les zones blanches les plus importantes. La promesse politique change : l’État ne dit plus « on va tout couvrir », parce que cela ne veut rien dire, mais qu’il va répondre aux demandes des collectivités. C’est l’intelligence des territoires qui va être au pouvoir. Mais ce changement appelle une mobilisation des collectivités : entre 600 à 800 sites par opérateur – dont certains partagés – seront déployés chaque année au niveau national, soit en moyenne une cinquantaine ou une soixantaine environ par région.
Quelle gouvernance va être mise en place ?
Une priorisation sera nécessaire car le guichet qui attribuera les sites prévoit un certain débit et un certain nombre de sites par an. Les collectivités vont être responsables, avec les services de l’État, de hiérarchiser les déploiements. Il faut donc définir la gouvernance du guichet, fixer quelles seront les procédures d’arbitrage et quelles seront les priorités. Cette gouvernance est de la responsabilité du gouvernement et devrait être clarifiée autour de l’été.
Quid des collectivités qui se sont emparées du sujet et ont déjà commencé à investir ?
Avec cet accord pour le mobile, on est très loin de l’esprit du plan France THD pour le fixe, où la main a été donnée aux collectivités. Ici, elles sont plutôt « clientes » du système. L’un des enjeux est de ne pas mettre en porte-à-faux les territoires qui s’étaient déjà engagés. Ce n’est pas parce que l’État revient avec une ambition que cela doit être au détriment des initiatives locales. Un défi est d’éviter une approche trop jacobine et ne pas ignorer leur volonté d’agir. L’accord prévoit que si une collectivité amène un terrain viabilisé, le délai dans lequel l’opérateur doit ouvrir le site est réduit de 24 à 12 mois. Nous encourageons donc toutes les collectivités qui le souhaitent à se mobiliser pour donner un coup d’accélérateur au dispositif. Ce n’est pas parce que l’État revient avec une ambition que cela doit être au détriment des initiatives locales. Un défi est d’éviter une approche trop jacobine et ne pas ignorer leur volonté d’agir.
Contrôlerez-vous la bonne exécution de cet accord ?
Oui, et nous serons intraitables sur le respect des échéances, dans le cadre légal qui nous est donné. Nous allons mettre en place un observatoire de l’accord qui sera publié tous les 3 mois et qui rendra compte des avancées de chaque opérateur. Si nous voyons qu’il y a un risque de retard, nous utiliserons la panoplie juridique à notre disposition qui va de la mise en demeure jusqu’à des sanctions pouvant aller jusqu’à 3 % du chiffre d’affaires de l’opérateur. A l'occasion du colloque de la mission Ecoter du 20 mars 2018, consacré à la couverture mobile des territoires, L'ARCEP et la DGE ont précisé que 600 zones par opérateurs seraient identifiées en 2018, 700 en 2019, 800 en 2020, 2021 et 2022 et puis 600 par an et par opérateur au-delà. A l’occasion du colloque de la mission Ecoter du 20 mars 2018, consacré à la couverture mobile des territoires, L’ARCEP et la DGE ont précisé que 600 zones par opérateurs seraient identifiées en 2018, 700 en 2019, 800 en 2020, 2021 et 2022 et puis 600 par an et par opérateur au-delà. Cliquez sur l’image pour l’agrandir
Les technologies radio vont aussi contribuer à apporter le très haut débit aux territoires ruraux. Vous aviez annoncé un guichet THD radio pour septembre 2017. Qu’en est-il ?
Nous avons libéré les fréquences qui vont permettre à des collectivités d’utiliser des technologies de type LTE 4G pour faire de la boucle locale radio. C’est une option technologique intéressante qui a toute sa place dans la boîte à outil des collectivités. Elle est transitoire : les autorisations que nous délivrerons iront jusqu’en 2026. Le guichet qui est ouvert depuis mi-décembre 2017, a reçu plusieurs demandes couvrant jusqu’à présent sept départements (Seine-et-Marne, Loiret, Yonne, Côte-d’Or, Saône-et-Loire, Aude et Seine-Maritime). Nous n’avons pas pu ouvrir ce guichet en septembre comme prévu, car le secrétariat général de Bercy a proposé de réduire nos effectifs de trois postes, ce qui ne nous permettait plus de le lancer. Finalement, j’ai refusé de rendre ces effectifs. Nous sommes donc dans une situation compliquée vis à vis de Bercy, mais nous espérons un dénouement positif car notre action est indispensable pour répondre à la volonté du Président de la République d’avoir du THD d’ici à 2022 sur toute la France.
Les offres de 4G fixe des opérateurs mobiles représentent-elles une menace pour les réseaux d’initiative publique des collectivités ?
Je veux rassurer les territoires qui se saisiront des technologies THD radio par rapport à la 4G fixe proposée par les opérateurs mobiles. En France, les quatre opérateurs semblent prudents. Seuls Bouygues Télécom et Orange proposent une telle offre, et avec parcimonie. Ces offres pourraient contribuer à atteindre un bon débit pour tous (8Mbps) pour 2020. D’ailleurs, l’accord mobile conclu en janvier prévoit que tous les opérateurs généralisent cette offre. Cependant, s’ils voient que cela abîme la qualité de leurs offres mobiles, ils pourront en arrêter la commercialisation. Un deuxième volet de l’accord les force à installer de nouveaux pylônes 4G à certains endroits pour y assurer la disponibilité d’offres 4G fixes, en coordination avec les porteurs de projets publics. Ils seront intégrés au panier technologique et compléteront les actions des territoires, sans les concurrencer.
Vous commencez à travailler sur les réseaux 5G. Les collectivités sont-elles concernées ?
Notre priorité est de comprendre quels vont être les cas d’usage majeurs de cette technologie qui est très différente de la 4G. Elle va permettre de répondre à des besoins de connectivité BtoB ou d’Internet industriel. Nous ouvrons des pilotes, c’est à dire des déploiements en grandeur nature, pour tester les usages, les modèles économiques… Nous avons mis en avant 9 villes ou métropoles (Bordeaux, Douai, Grenoble, Le Havre, Lille, Lyon, Montpellier, Nantes et Saint-Étienne) où les bandes de fréquences sont disponibles, et, nous avons adressé début mars un courrier à des responsables de grands groupes industriels, de grandes infrastructures (comme des ports ou des aéroports), aux grands acteurs de concession d’autoroutes, mais aussi aux maires et aux présidents des 9 villes et métropoles pour qu’ils se mobilisent sur le terrain. Nous ouvrons aussi la possibilité de faire ces pilotes partout où les fréquences sont disponibles, au-delà de ces 9 villes. Les collectivités d’autres zones qui seraient intéressées pour participer peuvent donc se rapprocher de nous pour savoir si cela est possible. nous avons adressé début mars un courrier (…) aux maires et aux présidents des 9 villes et métropoles pour qu’ils se mobilisent sur le terrain.
Que pensez-vous du projet de loi de Patrick Chaize tendant à sécuriser et à encourager les investissements dans les réseaux de communications électroniques à très haut débit, qui a été votée au Sénat à l’unanimité ?
Nous n’avons pas été saisi pour avis, il n’y a donc pas de position officielle de l’Arcep sur ce sujet. Cependant nous partageons pleinement la philosophie qui est à l’origine de cette proposition de loi, qui fait suite aux projets de SFR d’intervenir sans respecter les projets existants des collectivités. L’Arcep estime que toute stratégie de doublonnage et de débauchage est inadmissible. Toutefois, la position de SFR est aujourd’hui plus raisonnable par rapport à la prise en compte des projets existants. Le législateur peut donc se demander si ce texte est toujours opportun. De plus l’Europe est sur le point d’adopter une réforme assez importante du code européen des télécoms. Un accord politique est attendu avant la fin du premier semestre. Le législateur pourrait donc dire que la priorité est de transposer cette réglementation européenne. Ce n’est pas à moi d’en juger.
Certains opérateurs, comme Orange dans les Yvelines, démarchent des élus pour déployer leur réseau fibre optique alors qu’ils sont sur des zones RIP. Qu’en pensez-vous ?
L’idée que certains acteurs se positionnent pour déployer leur réseau sans subventions est une très bonne nouvelle. Cependant, les porteurs de projets publics ne doivent pas être fragilisés. Si des collectivités se sont mobilisées à la maille départementale ou régionale, il est hors de question que cela soit remis en cause. J’appelle Orange à la raison : quand on est un grand acteur du marché, le minimum est de s’articuler intelligemment avec les territoires. Orange est le premier investisseur en fibre en France, représentant la moitié des investissements, et je m’en félicite. Mais il ne peut pas relever seul le défi de la fibre. Son déploiement ne peut se faire dans une aventure solitaire. Il faut un partage en bonne intelligence. Je ne suis pas naïf, et sais que mon appel à la raison pourrait être insuffisant. Aussi, l’Arcep travaille sur un texte de nature réglementaire pour préciser nos régulations sur la fibre, afin d’éviter des stratégies de doublon ou de préemption qui sont inacceptables. Nous peaufinons un texte qui sera mis en consultation publique d’ici fin avril. Il pourrait entrer en action au début du deuxième semestre.
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