Mesdames et Messieurs,
La concurrence sur le haut débit, en particulier sur l’ADSL, avait mal débuté en Europe. Pratiquement partout, le démarrage du haut débit sur les réseaux de télécommunication a été le fait d’initiatives des opérateurs historiques, en situation de monopole quasi total sur la boucle locale. C’est le constat que l’on peut dresser et, à cet égard, la situation française n’a pas été différente de celle de ses voisins. Bien entendu, dans beaucoup de pays, les régulateurs ont réagi pour que se développe une véritable compétition sur ce marché du haut débit.
Cette réaction n’a pas été aussi rapide qu’auraient pu le souhaiter les participants, notamment des sociétés comme Tiscali qui concurrencent les opérateurs historiques ou leur filiale fournisseur d’accès à Internet (FAI). Les régulateurs ont eu à faire face à une période d’apprentissage et à adapter leurs moyens d’intervention, que l’on appelle aujourd’hui " remedies ".
Il faut rappeler que la technologie DSL est relativement nouvelle et que les régulateurs ne disposaient pas d’un historique de l’interconnexion de réseaux d’accès haut débit. Dans la téléphonie vocale, lorsqu’il s’est agi d’ouvrir le marché à la concurrence, le régulateur bénéficiait d’un recul sur l’interconnexion des réseaux, basé sur une pratique de plusieurs dizaines d’années. En effet, tous les réseaux des opérateurs historiques ont été interconnectés les uns aux autres pratiquement dès leur déploiement. Les réseaux étant stabilisés, les interfaces connues, les régulateurs se sont surtout préoccupés des tarifs. De plus, les prix des matériels et des équipements, également connus et relativement stables, ont facilité le contrôle tarifaire.
Avec le haut débit, la situation est différente. Il s’agit de réseaux en développement, bâtis sur des technologies en évolution rapide. Les régulateurs ont donc eu plus de difficultés à définir les spécifications techniques d’interconnexion, par exemple les modalités techniques du dégroupage ou de l’interconnexion des réseaux IP ou ATM. Parallèlement, le coût des infrastructures a très fortement et très vite baissé. Les prix des DSLAM et des modems ont quasiment été divisés par 5, voire par 10 en quatre ans. De même les tarifs ont évolué très rapidement dans le temps, par exemple de 20 à 30% de baisse des prix de gros chaque année.
Comment introduire la concurrence dans le haut débit, dans cet environnement technologique en constante évolution et où les possibilités d’accès au haut débit sont, au moins potentiellement, multiples (ADSL, câble, satellite, Wi-Fi, courants porteurs en ligne, etc.) ?
Voici ce qui s’est passé en France. J’ espère que cet exemple pourra servir notamment lors de la mise en oeuvre de la nouvelle réglementation européenne en matière de télécommunications.
L’ART a estimé qu’en France la concurrence ne pouvait s’exercer pleinement que par l’intermédiaire des réseaux de télécommunication et par l’ouverture de la boucle locale exploitée par l’opérateur historique, c’est-à-dire par son dégroupage. Même si l’ART a toujours considéré les réseaux câblés comme une infrastructure alternative majeure pour la fourniture de services de communication électronique, en raison de leur faible taux de pénétration et d’un marché hexagonal fragmenté, ils ne font qu’une concurrence marginale à France Télécom.
En revanche, dans certains pays voisins, ces infrastructures sont plus développées. Au Benelux, au Royaume-Uni, en Espagne, le câble a montré assez tôt sa capacité à proposer des offres de services à haut débit efficaces. Face à un tel environnement, le régulateur gère une situation a priori plus simple, et peut être moins enclin à imposer des obligations aux opérateurs de réseaux de télécommunications. Il faut cependant noter qu’alors apparaît un risque de concentration verticale à l’intérieur du pays. Cette concurrence par les infrastructures fragilise en effet les FAI n’ayant pas de liens forts avec les opérateurs de réseaux de télécommunication ou de réseaux câblés. Une telle situation peut ainsi compromettre l’émergence d’une industrie européenne de services d’accès à Internet haut débit.
Mais revenons à la France.
L’ouverture du marché de l’ADSL à la concurrence doit offrir à tous les acteurs de la chaîne de valeur une chance équitable pour prendre une part de ce marché.
L’ART a un double objectif. Tout d’abord, il s’agit de créer une situation de concurrence saine et loyale entre les différents fournisseurs d’accès à Internet haut débit. Il est aussi de permettre aux opérateurs de réseaux de téléphonie fixe de se positionner sur ce segment en forte croissance, d’abord en offrant des prestations de transport mais également en proposant des accès haut débit. En effet, la concurrence sur le marché aval sur lequel se confrontent opérateurs et FAI n’est durable que si elle s’appuie sur le marché amont, le marché de gros inter-opérateurs.
Pour permettre à la concurrence de s’exercer, il a fallu définir les modalités d’accès à ce marché de l’ADSL. Nous avons retenu trois options pour permettre aux FAI de bâtir leurs offres d’accès à Internet ADSL.
Avec la première, dite option 5, le trafic de l’abonné ADSL est livré au fournisseur d’accès à Internet directement sur son centre serveur par France Télécom. Il s’agit de la revente, sous la propre marque du FAI, d’offres d’accès conçues par l’opérateur historique. Dans ce cas, le FAI est totalement dépendant de France Télécom pour l’accès et pour la totalité de la collecte. Bien entendu, Wanadoo, le premier FAI sur le marché, filiale de France Télécom, utilise l’option 5.
Avec l’option 3, les opérateurs achètent à France Télécom une prestation de collecte du trafic DSL sur sa boucle locale et revendent aux FAI une prestation globale d’accès, de collecte du trafic et de transport.
Enfin la troisième, dite option 1, est la mise à disposition par France Télécom à ses compétiteurs de la paire de cuivre raccordant l’abonné. Il s’agit du dégroupage qui peut être total ou partiel. Avec ces deux dernières offres, le fournisseur d’accès à Internet devient indépendant de l’opérateur historique, ce qui lui permet de différencier son offre tant en termes de tarifs que de débits proposés.
Il est important de noter que les options 3 et 1 sont complémentaires. L’option 1 nécessite de la part d’un opérateur beaucoup plus d’investissements que l’option 3. Il peut espérer un retour sur investissement rapide seulement dans les zones où la densité de population est élevée. C’est la raison pour laquelle, la stratégie naturelle d’un nouvel entrant consiste à combiner les deux approches, c’est-à-dire pratiquer le dégroupage en zone dense et recourir à l’option 3 ailleurs. Puis, progressivement, il migrera de l’option 3 vers l’option 1.
La situation concurrentielle sera satisfaisante lorsque les compétiteurs de Wanadoo détiendront des parts du marché de détail suffisantes pour exister et lorsque les compétiteurs de France Télécom détiendront des parts du marché de la collecte suffisantes pour exister.
A cet égard, nous ne pouvons que nous féliciter des projets d’investissements très importants annoncés par certains opérateurs dégroupeurs, et de l’intérêt récemment manifesté par Telecom Italia pour entrer sur ce marché.
Mais tant qu’une véritable concurrence n’est pas mise en place, il nous faut garder la capacité de réguler les marchés amont comme aval.
Aujourd’hui, le marché de l’ADSL connaît une croissance rapide en France. Il est certainement l’un des plus ouverts en Europe. On peut dire que l’instauration d’une saine concurrence n’est plus un espoir très lointain.
Fin 2002, France Télécom détenait 80% de parts du marché de détail via sa filiale Wanadoo et la totalité du marché du transport et de l’accès. Les concurrents de Wanadoo n’avaient pas d’autre choix que d’acheter l’option 5. A fin 2003, on peut estimer la part de marché de Wanadoo à environ 60% , celle de sa maison mère France Télécom pour le transport à 90% et pour l’accès à 93%. Au total, les concurrents de France Télécom auront pris 10% du marché de l’ADSL en valeur en un peu plus d’un an. A titre de comparaison, depuis 1998, les opérateurs alternatifs ont pris 10% en valeur du marché de la téléphonie vocale.
Quels sont les moyens légaux du régulateur pour favoriser la concurrence sur le haut débit ?
Les moyens d’intervention actuels de l’ART sur les trois options retenues pour l’accès sont différents. Les offres de France Télécom aux clients finals ou aux FAI (offre de revente et collecte IP/ADSL) relèvent de l’homologation tarifaire, pouvoir que partage le régulateur avec le ministre en charge des télécommunications. Pour l’option 1, c’est-à-dire le dégroupage de la boucle locale, qu’il soit partiel ou total, le règlement européen de décembre 2000 donne au régulateur un pouvoir d’intervention significatif. Nous l’avons employé en avril et juillet 2002 pour modifier l’offre de référence de France Télécom car nous avons estimé qu’elle n’était pas orientée sur ses coûts. Nous continuons par ailleurs à améliorer les caractéristiques opérationnelles du dégroupage avec la définition d’accords de qualité de service.
Concernant l’offre intermédiaire de transport, l’ART ne disposait pas encore de capacité d’intervention a priori. Pour intervenir, elle devait attendre d’être saisie d’un litige entre opérateurs, c’est-à-dire d’un règlement de différend, pour pouvoir compléter ses moyens d’action, en particulier pour assurer une cohérence entre les tarifs des options 3 et 5. Mettre en place un tel dispositif n’a pas été aisé. Parvenir à un tel équilibre est plutôt délicat.
Le nouveau cadre réglementaire découlant de la transposition du paquet télécom donnera plus de souplesse au régulateur qui pourra agir de façon plus sélective en fonction de l’analyse des marchés et de façon plus efficace lorsque son action s’avèrera nécessaire.
Nous souhaitons que ce nouveau cadre nous permette de consolider notre approche pour intervenir simultanément sur les marchés de gros aval, c’est-à-dire sur les prestations de revente fournies aux FAI et sur les marchés de gros inter-opérateur (option 1 avec le dégroupage et option 3). A moyen terme, quand les marchés seront suffisamment concurrentiels, l’intervention du régulateur sur les marchés aval ne sera plus nécessaire et sera abandonnée.
La régulation entre donc dans une nouvelle phase pour se trouver plus proche de la réalité des marchés. Et s’il est trop tôt pour en préjuger les résultats, vous pouvez être assurés que l’ART poursuivra son action en faveur de la concurrence en général et sur le marché du haut débit en particulier.
Je vous remercie de votre attention.