INTERVIEW - Jean-Ludovic Silicani, le président de l'Arcep, régulateur des télécoms, affirme qu'il traite Free comme tous les autres opérateurs.
Le marché des télécoms est secoué par l'arrivée de Free Mobile.
LE FIGARO.- L'Arcep a mesuré la couverture du réseau de Free Mobile, mais ni son utilisation effective ni sa qualité. Pourquoi?
Jean-Ludovic SILICANI.- L'Arcep a vérifié que Free Mobile a bien atteint son objectif de couverture de 27 % de la population et vérifiera cette couverture d'ici à 2015. Mais nous n'avons pas à nous mêler de la planification du réseau ni des choix techniques effectués. Toutefois, la licence prévoit un rendez-vous entre l'Arcep et Free Mobile en juin 2012 pour faire le point sur tous ses engagements. Et nous allons intégrer le réseau de Free Mobile dans nos études annuelles sur la qualité de service et sur la couverture des réseaux qui seront publiées fin 2012. Comme la très grande majorité du trafic des abonnés de Free Mobile passe par le réseau d'Orange, il faudra mesurer la qualité de service sur le réseau de Free Mobile, avec et sans l'utilisation du réseau d'Orange.
Comment incitez-vous Free à déployer son réseau?
C'est d'abord son intérêt propre. Nous avons aussi plusieurs outils pour nous assurer que Free Mobile prend les dispositions nécessaires afin d'avoir un réseau efficace. D'ici à l'été, nous devons définir le prix d'acheminement de SMS reçus par les clients de Free Mobile. En tant que nouvel opérateur, il pourrait bénéficier, comme Bouygues Telecom, de tarifs supérieurs à ceux de ses concurrents pour compenser le handicap au démarrage. Mais l'Arcep ne prendra pas en compte le surcoût qui pourrait résulter pour Free d'une forte utilisation de son contrat d'itinérance. Cela devrait inciter fortement Free à déployer son réseau.
Pensez-vous que Free n'a pas suffisamment investi?
Free a pris un engagement de construire un réseau couvrant 75 % de la population d'ici à 2015. L'Arcep peut en déduire le rythme d'investissement nécessaire pour atteindre cet objectif. Et si nous constatons, disons en milieu de parcours, que l'investissement n'est pas suffisant pour atteindre l'objectif final, nous pourrions lancer une procédure de mise en demeure pour que Free accélère ses dépenses. Un réseau mobile coûte environ 1 milliard d'euros. Aujourd'hui, Free Mobile aurait dépensé environ 130 millions entre 2010 et 2011. Nous lui avons demandé son plan d'investissement pour 2012. Rien n'indique, à ce stade, que l'investissement soit insuffisant.
Les incidents se multiplient sur le réseau de Free Mobile. Que faire?
Les incidents proviennent surtout de difficultés techniques dans l'interconnexion entre les réseaux de Free et d'Orange. Je pense que les deux parties ont sous-estimé à la fois le nombre d'abonnés et la quantité de trafic passant par le réseau d'Orange, mais aussi que les offres à 2 euros de Free Mobile conduiraient les consommateurs à ressortir d'anciens téléphones utilisant le réseau 2G. Aujourd'hui, près de la moitié des appels de Free Mobile sont en 2G, mais comme il ne dispose pas d'un tel réseau, ses clients utilisent celui d'Orange. Si c'est nécessaire, les deux opérateurs peuvent s'entendre pour réaménager leur contrat d'itinérance sans intervention de l'Arcep. S'ils ne parviennent pas à se mettre d'accord, ils peuvent nous saisir et nous trancherons.
L'arrivée de Free a-t-elle trop fait baisser les prix dans le mobile?
Les offres low-cost sont critiquables quand elles font appel à de la main-d'œuvre sous-payée, mais pas lorsqu'elles résultent de gains de productivité ou du progrès technique. C'est ainsi que Free peut avoir des prix plus bas à la fois parce qu'il ouvre un réseau avec des équipements de dernière génération, mais aussi parce qu'il a moins de frais de structure. Les responsables politiques peuvent difficilement se plaindre que les prix baissent trop fortement dans les télécoms et qu'ils augmentent trop dans l'énergie.
Cela crée-t-il une menace sur l'emploi dans le secteur?
Aucune situation ne peut être figée et il faut avoir une vision globale du secteur. Certains analystes estiment que le secteur risque de perdre environ 5000 à 10.000 emplois en un ou deux ans. Sur un total de 150.000 cela représente 3 %, c'est-à-dire moins que les départs à la retraite de ce secteur. Et, dans le même temps, l'écosystème numérique va créer beaucoup d'emplois. Le solde sera sûrement nettement positif.
Les opérateurs pourront-ils continuer à investir?
Ils ont bénéficié pendant dix ans d'un marché oligopolistique dans le mobile où ils ont réalisé des marges très élevées. Ils ont ainsi pu faire des investissements qui ne sont donc plus à faire. Le rythme d'investissement actuel de 8 milliards d'euros par an n'a pas besoin d'être augmenté. Construire un réseau de fibre optique et plusieurs réseaux à très haut débit mobile couvrant tout le territoire coûte environ 30 milliards d'euros sur 15 ans, soit deux milliards par an. Rapporté aux 8 milliards, ce n'est pas une charge si lourde que cela.
Certains vous reprochent de favoriser Free Mobile. Avez-vous outrepassé votre rôle?
En décembre 2008, c'est le premier ministre qui a décidé d'attribuer une quatrième licence de téléphonie mobile. Quand je suis arrivé à l'Arcep, en mai 2009, je n'avais jamais rencontré les dirigeants de Free. J'ai trouvé ce dossier et je l'ai géré en toute impartialité. L'Autorité a tout fait pour vérifier que d'autres acteurs, comme Virgin ou Bolloré Telecom, n'étaient pas intéressés. Certains ont réfléchi, mais sans se décider. C'est donc qu'il y avait un vrai risque, que seul Free a osé prendre. Par ailleurs, nous avons su sanctionner Free quand il le fallait: en 2010, sur ses forfaits fixes illimités, ou l'an dernier, sur la fibre. Nous traitons donc Free comme tous les autres opérateurs.
Propos recueillis par Marie-Cécile Renault et Enguérand Renault