Vous venez de présider l’Arcep pendant six ans. Quelle est votre plus grande fierté ?
Sans hésiter le marché du haut débit, où la France est passée en quelques années en tête de peloton en matière en matière d’innovation, de nouveaux services et d’usage. La France est au plus haut niveau mondial en matière de pénétration de l’Internet haut débit, bien devant les Etats-Unis. Le marché s’est fortement développé sous l’effet d’une concurrence dynamique. C’est le rôle du régulateur d’anticiper les évolutions technologiques et de faire émerger de nouveaux acteurs ayant envie d’investir. L’ARCEP a mis en œuvre une politique robuste en matière de dégroupage du dernier kilomètre du réseau de France Télécom. Grâce à cela, la concurrence a pu se développer, a innové (cf les Box triple play) et pratiqué des prix attractifs. Les trois quarts des Français peuvent aujourd’hui accéder en dégroupage au réseau d’Iliad [la maison mère de Free, NDLR] et de Neuf [racheté par SFR, NDLR]. Je remarque que les opérateurs qui étaient prêt à investir sont les seuls à être restés sur le marché.
Le dossier de la quatrième licence traîne en longueur. Regrettez-vous que le gouvernement n’ait pas agit plus vite ?
Je ne regrette rien car tout est ouvert et je fais confiance aux autorités publiques pour prendre une bonne décision sur ce dossier. Je suis favorable à une procédure d’attribution où l’on réserve, dans une première étape, une partie des fréquences à un nouvel entrant. La France est le seul grand pays européen où il n’y a que trois opérateurs mobiles. Il faut faire tomber les barrières à l’entrée dans le mobile, comme on a pu le faire dans le fixe. Bouygues Telecom vient d’entrer sur le marché du haut débit fixe. Il faut que l’inverse soit possible. Iliad et Numericâble doivent être présents dans le mobile pour pouvoir faire des offres convergentes [Numéricâble a signé un accord de MVNO avec Bouygues Telecom, NDLR]. Car, à l’avenir, la concurrence se fera entre opérateurs intégrés fixe-mobile. Or, aujourd’hui, les conditions faites aux opérateurs mobiles virtuels [MVNO] ne peuvent pas être acceptées par des opérateurs fixes. L’objectif de la quatrième licence mobile n’est pas l’entrée d’un quatrième opérateur « pur » mobile– cela serait très difficile– mais l’égalisation des conditions de concurrence entre opérateurs fixes et mobiles dans un contexte de convergence et donc la survie à terme des acteurs fixes.
La fibre optique sera l’un des dossiers épineux que votre successeur devra gérer. Quels conseils lui donneriez-vous ?
Je n’ai pas de conseils à donner mais c’est vrai que 2009 sera une année clé pendant laquelle le régulateur et le gouvernement vont devoir s’occuper activement de ce dossier. Ce n’est pas simple car tous les acteurs avancent avec beaucoup d’arrière pensées qui ne sont pas toutes technologiques. Un comité de pilotage vient d’être créé pour les ramener à la table des négociations. Il faut maintenant expérimenter les diverses solutions techniques et faire sauter les derniers verrous dans le semestre qui vient. A priori, l’idée de placer plusieurs fibres dans un immeuble pour que chaque opérateur ait directement accès au client final semble être une solution de compromis. Elle donne le maximum de liberté à tout le monde pour un surcoût qui apparaît limité. C’est d’ailleurs le choix technique qui vient d’être retenu par l’opérateur historique helvétique Swisscom.
Dans son plan de relance aux Etats-Unis, Barack Obama a prévu des investissements publics massifs dans les autoroutes de l'information et l'accès universel au haut débit. La France devrait-elle en faire autant ?
Pour être efficace, un plan de relance doit être rapide. Dans cette perspective, parler de la fibre optique est hors sujet car elle demande des investissements sur une dizaine d’année. Par ailleurs, je ne crois pas que l’Etat soit capable de faire les choix technologiques adéquats partout et tout le temps. Il s’est fixé pour objectif que 4 millions de Français aient accès à l’Internet à très haut débit en 2012. L’objectif est raisonnable. Si l’Etat veut aller plus vite, c’est sur les collectivités territoriales qu’il doit s’appuyer. Enfin, le secteur des télécoms est une industrie peu cyclique et ne manque pas d’argent. Le modèle de revenus des opérateurs est assez récurrent et ils ne sont pas les premiers touchés par la crise. Ce n’est donc pas un secteur dans lequel l’Etat doit se précipiter à investir. Pour inciter à l’investissement, il suffit d’attribuer la quatrième licence. Là, les opérateurs vont investir !
Le gouvernement a enclenché une réflexion sur l'implication du passage au tout-numérique pour les deux régulateurs : celui de l'audiovisuel (CSA) et celui des télécoms (Arcep). Qu’en pensez-vous ?
L’Arcep n’a aucun pouvoir sur les contenus et ne cherche pas à en avoir. Mais toutes sortent de contenus passent maintenant sur les réseaux télécoms tandis que l’importance du réseau hertzien va en déclinant. Donc, la logique de la régulation des médias en France par l’intermédiaire des fréquences (héritée de la TV analogique) devra à terme être remise en cause. Le CSA est un régulateur sociétal, protecteur des libertés publiques. Il faut réfléchir aux instruments de régulation nécessaire à ses missions. L’attribution des fréquences aux chaînes n’est plus un instrument pertinent. Dans un contexte de pénurie croissante de fréquences pour les services sans fil, il est normal que l’Etat réfléchisse à une meilleure utilisation de ce bien public en faveur du développement économique. Par ailleurs, il y a une question de concurrence portant sur les effets de leviers entre les secteurs des télécoms et des médias : si on n’y prend pas garde, il y a un risque d’avoir des opérateurs dominants verticalement intégré qui ne rendraient certains contenus premium accessibles qu’aux clients sur leur réseau.Je ne pense pas que cette perspective soit bonne ni pour le marché ni pour la société. Mais je crois le Conseil de la concurrence parfaitement en mesure de traiter le sujet.
Vous aurez 65 ans le 6 janvier prochain. Vous préparez-vous à une retraite active ?
Ce ne sont pas les propositions qui manquent ! Le gouvernement m’a confié la présidence d’une commission sur les tarifs de l’électricité. Par ailleurs, je vais présider une Haute autorité de la statistique, qui sera indépendante et au dessus de structures comme l’INSEE. [Paul Champsaur a été directeur général de l'INSEE de 1992 à 2003, NDLR]
Propos recueillis par Frédéric Schaeffer et Jean-Christophe Féraud