Alors que la promulgation de la loi relative à la modernisation de la distribution de la presse est imminente, d'ici la semaine prochaine, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) que préside M. Sébastien SORIANO, invite les acteurs du secteur de la distribution de la presse à se réunir le 21 novembre prochain. Doté de nouvelles attributions en vertu de la réforme de la loi "Bichet" du 2 avril 1947, le régulateur souhaite ainsi donner le coup d'envoi de cette future régulation.
Soucieuse de ne pas imposer a priori de gouvernance et d'être à l'écoute, l'Autorité souhaite que cette première réunion, largement ouverte aux différents acteurs de la filière, soit l'occasion d'entendre leurs attentes en procédant à un large tour d'horizon, d'évoquer les dossiers de fonds s'agissant de la distribution de la presse écrite comme de la presse en ligne et d'identifier les priorités des uns et des autres. Ce premier rendez-vous sera également l'occasion pour l'ARCEP de partager avec les participants les axes du programme de travail qu'elle entend mettre en œuvre.
L'ARCEP propose de tenir la négociation sur l'assortiment sous son égide
"D'ores et déjà, le chantier prioritaire est celui de l'assortiment", prévient le président de l'Autorité, dans un entretien accordé à "La Correspondance de la Presse".
Le texte voté définitivement le 8 octobre dernier prévoit, en effet, au 2° de l'article 5 de la loi de 1947 dans sa future rédaction que les titres titulaires d'un certificat de la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP) sont distribués selon des règles d’assortiment des titres et de détermination des quantités servies aux points de vente définies par un accord interprofessionnel conclu entre les organisations professionnelles représentatives des entreprises de presse et des diffuseurs de presse et les sociétés agréées de distribution de la presse, dans l'immédiat Presstalis et les Messageries lyonnaises de presse.
A l'article 18 5° de ce même texte, il est indiqué que l'ARCEP est informée de l'ouverture de cette négociation qui doit aboutir dans les 6 mois, délai au terme duquel, en cas d'échec, l'Autorité définit ces règles.
Enfin, l'article 13 de la loi de modernisation de la distribution de la presse dispose que le premier accord interprofessionnel est communiqué à l'Autorité dans les six mois qui suivent la date de publication de cette loi.
"Nous proposons que la concertation se fasse sous l'égide de l'Autorité en présence de ses services dans la mesure où elle peut être un facilitateur et diminuer les impasses", selon des modalités à définir, explique M. SORIANO. Et dans l'hypothèse où les discussions n'aboutiraient pas à un accord, "nous aurions des éléments de compréhension qui nous permettrait d'adopter une décision plus rapidement", avance-t-il au soutien de cette "invitation à la discussion" en présence du régulateur.
L'ARCEP, quel régulateur ?
Pour l'ARCEP, ce premier rendez-vous sera également l'occasion d'expliquer dans quel état d'esprit elle aborde ce nouveau domaine de compétence et comment fonctionne l'Autorité.
"On aborde le sujet de la distribution de la presse avec une humilité", confie en premier lieu M. SORIANO. Si un régulateur est "un expert neutre", il estime qu'en matière de distribution de la presse, "nous ne sommes pas experts", ce qui explique "une envie de comprendre finement" le fonctionnement du secteur et d'apprendre. Au-delà de cet aspect technique, le régulateur fait part de son "humilité par rapport au travail réalisé jusqu'à présent. On partira de l'existant, du travail réalisé par le Conseil supérieur des messageries de presse", assure son président. Ce corpus pourra évoluer à l'avenir mais c'est en tout état de cause le socle sur lequel s'appuiera l'Autorité.
Enfin, il met en avant une "humilité par rapport aux résultats. On ne veut pas dire que tout va mieux se passer parce que l'ARCEP arrive", souligne-t-il, pointant les "difficultés intrinsèques dans ce secteur bouleversé". "La régulation ne créé pas de modèle économique", poursuit-il, mais vise à "combiner l'initiative privée avec le respect de principes d’intérêt général".
Dans le cadre de ses nouvelles missions, l'ARCEP entend bien préserver le principe de la concertation qui a prévalu, jusqu'à présent, dans ce secteur "habitué à s'auto-réguler", M. SORIANO écartant tout "basculement vers des décisions arbitraires extérieures". Une menace d'autant moins sérieuse que "l'ARCEP a la culture de la concertation et prend le temps du dialogue", insiste son président. Pour autant, le moment venu, elle sait trancher, son objectif premier n'étant pas de rechercher à tout prix un accord, explique-t-il, "mais d'écouter les acteurs, de comprendre leurs problématiques". Cela permet d'être "éclairé sur les conséquences des décisions que nous prenons", ajoute-il, et d'être en capacité de mesurer, le moment venu leur impact sur les différents acteurs de la filière.
Une culture de la concertation
Cette "grande culture de la concertation" est une réalité et se traduit notamment dans la gouvernance prévalant à l'ARCEP où différents comités ont été mis en place, expose M. SORIANO, citant les comités de concertation (tels, dans d'autres secteurs, le Comité de l'interconnexion et de l'accès, le Comité Consommateurs, ou encore le Comité des Outre-Mer – l'ARCEP a, en effet, compétence en Guadeloupe, Martinique, Guyane, Saint Barthélémy, Saint Martin, Saint Pierre et Miquelon, La Réunion et Mayotte) ; les réunions multilatérales qui sont des groupes techniques sur des sujets opérationnels, des sujets susceptibles d'être des "irritants", décrypte le président de l'ARCEP.
Enfin, lorsqu'elle projette des décisions, l'Autorité est amenée à organiser des consultations publiques, en vertu d'obligations légales. Les contributions des parties prenantes sont accessibles et font parfois l'objet de synthèses.
"Nous voulons discuter avec le secteur de la presse et ne pas lui imposer une gouvernance", insiste M. SORIANO, fort de cet exposé du fonctionnement de l'ARCEP.
L'ARCEP entend se placer dans l'intérêt du lecteur
"Nous ne sommes pas les suppôts du néo-libéralisme", souligne le dirigeant dont l'institution a trop souvent ce marqueur, la création de l'ancêtre de l'ARCEP étant "associée à la libéralisation du secteur des télécoms et donnerait, ainsi, l'impression qu'elle accompagnerait un paradigme moins disant pour la loi Bichet".
Or, c'est oublier qu'il existe des "services universels" dans les secteurs qu'elle régule déjà. Et c'est oublier également son manifeste qui défend l'idée que "le régulateur pose des exigences au marché pour construire le bien commun", appuie-t-il.
Accessible sur le site de l'ARCEP, ce manifeste – rédigé avant que n'entre en vigueur les nouvelles compétences de l'Autorité en matière de distribution de la presse, dispose notamment que "les réseaux d’échanges internet, télécoms fixes, mobiles et postaux, constituent une « infrastructure de libertés ». Liberté d’expression et de communication, liberté d’accès au savoir et de partage, mais aussi liberté d’entreprise et d’innovation, enjeu clé pour la compétitivité du pays, la croissance et l’emploi.
"Parce que le plein exercice de ces libertés est essentiel dans une société ouverte, innovante et démocratique, les institutions nationales et européennes veillent à ce que les réseaux d’échanges se développent comme un « bien commun », quel que soit leur régime de propriété, c’est-à-dire qu’ils répondent à des exigences fortes en termes d’accessibilité, d’universalité, de performance, de neutralité, de confiance et de loyauté. (…)"
S'agissant du secteur de la presse, l'Autorité l'appréhendera "avec ses spécificités propres", bien consciente qu'"il ne s'agit pas là d'un secteur comme les autres".
Son action sera guidée par "l'intérêt du lecteur", cadre M. SORIANO. Autrement dit, poursuit-il, "on prendra un peu de recul quant à la façon de regarder le secteur" afin ne pas perdre de vue les objectifs en arrière-plan et les enjeux de la presse au regard du débat démocratique et d'accès à la connaissance et au savoir. Il redoute que la manière dont le débat est perçu puisse "donner l'impression que beaucoup de place a été donnée à l'offre", et faire ainsi "perdre l'intérêt de la demande". "Nous serons attentifs à un bon équilibre", ajoute-il, soucieux que "le lecteur ait accès largement sur le territoire à une presse diverse et de qualité, à un coût raisonnable".
Le lecteur n'est pas qu'un consommateur mais "un consommateur et un citoyen", rappelle M. SORIANO, pointant la dimension démocratique et le débat public présents en arrière-plan des questions relatives à la distribution de la presse. Cette "remise en perspective" peut être utile pour le secteur et, plus largement, lorsque des arbitrages devront être rendus en sachant dépasser les clivages, juge-t-il. Il ne s'agira pas alors de favoriser tel ou tel acteur mais bien d'avoir en ligne de mire le lecteur.
C'est d'ailleurs l'importance accordée à l'intérêt du lecteur qui explique que l'ARCEP se saisisse prioritairement de la question de l'assortiment, affirme le responsable de l'Autorité, estimant que "les marchands ont été un peu trop souvent la variable d'ajustement". A ses yeux, sans pour autant déséquilibrer le système, les marchands de presse peuvent, dans cette optique, jouer un rôle "plus impactant" dans la chaîne de la presse. "La notion d'assortiment est un des moyens de redonner de l'autonomie aux marchands" et de leur permettre de mieux adapter l'offre aux besoins des lecteurs, veut-il croire.
La régulation fragmentée de la diffusion numérique entre ARCEP et DGCCRF : une occasion manquée d'une régulation simplifiée et efficace
La loi relative à la modernisation de la distribution de la presse comporte également un volet, novateur, concernant la diffusion numérique et distingue, en substance, les "kiosques" de presse en ligne des agrégateurs (article 15 de la loi de 1947 dans sa future rédaction). Alors que les premiers tombent dans le champ de compétence de l'ARCEP, les seconds relèvent de la compétence de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), service administratif relevant du ministère de l'Economie.
Une division que regrette M. SORIANO : alors que la réforme de la loi Bichet avait pour objectif de "simplifier" le fonctionnement de la distribution de la presse, cela n'a pas prévalu concernant le numérique. "C'est un mouvement en sens inverse", constate le président de l'ARCEP, pour qui cette disposition législative représente un "ajout de complexité". Il regrette par ailleurs que les différends concernant les kiosques en ligne ont vocation à être tranchés en co-décision avec l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM), la future instance de régulation réunissant l'actuel Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et la Hadopi créée par la prochaine loi réformant l'audiovisuel.
L'ARCEP, par la voix de son président, s'interroge sur le choix fait par le gouvernement de confier la régulation de la distribution de la presse numérique via les agrégateurs à la DGCCRF et, plus largement, de cette séparation entre leur supervision et celles des kiosques numériques. Il aurait été, à ses yeux, pertinent de permettre à l'Autorité de regarder la façon dont les algorithmes de ces plateformes fonctionnent et dont le principe de neutralité est, ou non, respecté dans le numérique. "Nous sommes passés à côté de l'opportunité de rentrer dans une dialectique exigeante avec les agrégateurs" type Google ou Apple news, constate M. SORIANO. "L'omniprésence de Google pose questions", poursuit-il. Au passage, il salue l'enquête exploratoire ouverte par l'Autorité de la concurrence à la suite de l'annonce par ce dernier de la mise en place d'une nouvelle version de son outil de gestion des modalités de publication des résultats de recherche, configuré de telle sorte qu'il ne devrait donner lieu à aucune rémunération des éditeurs et agences de presse (cf. CP du 3/10/2019). Mais il souligne que cette instance, si elle représente "un élément dissuasif qui permet de punir les abus", elle ne permet pas, contrairement à un régulateur, de construire un cadre de régulation qui suppose des interactions permanentes.
Confier la régulation de l'ensemble de la distribution numérique à l'ARCEP aurait été "de bon sens" dans la mesure où le régulateur en charge du secteur "traditionnel" aurait ainsi été également celui de son "extension numérique", ajoute M. SORIANO. Ça n'est pas une question de chapelle mais une logique d'efficacité" qui guide son propos, assure-t-il, fort de la conviction que la pluralité d'acteurs impliquera une "fragmentation désolante" face à ces "acteurs ultrapuissants".
La Gouvernance de l'ARCEP : collège et services
La nouvelle régulation, désormais confiée à un organe unique, l'ARCEP, va se mettre en place très rapidement.
En effet, dès l'entrée en vigueur de la loi (à savoir le lendemain de sa parution au Journal officiel), un échéancier se met en place, détaillé dans les dispositions "transitoires et finales" du texte (article 12 et 13 du projet de loi de modernisation de la distribution de la presse).
1ère étape à être inscrite dans le texte, la première réunion de l'ARCEP devra intervenir dans le mois suivant la date de l’entrée en vigueur de la loi. Celle-ci entraînera concomitamment la dissolution du Conseil supérieur des messageries de presse. Pour autant, ce dernier continuera d'exercer, avec la commission du réseau du CSMP, ses compétences en cette matière et ce, jusqu'à la première réunion de la nouvelle "commission du réseau de la diffusion de la presse" qui doit intervenir dans les six mois de l'entrée en vigueur de la loi. Hormis dans ce domaine, les autres compétences du CSMP reprises dans la future loi seront dès lors du ressort de l'ARCEP.
Celle-ci est une autorité administrative indépendante composée de sept membres nommés pour six ans, non renouvelables. Présidée depuis janvier 2015 par M. Sébastien SORIANO, l'Autorité a un fonctionnement collégial et ses membres ne sont pas en charge, à proprement parler, d'un secteur en particulier. Pour autant deux d'entre eux, Mme Monique LIEBERT-CHAMPAGNE, conseillère d'Etat honoraire, nommée en janvier 2017, et M. François LIONS, ingénieur général des mines, nommé en février 2019 après avoir été directeur général adjoint de l'ARCEP et directeur Courrier, Colis et Broadcast, seront les interlocuteurs privilégiés de la filière.
S'agissant des services de l'Autorité, placés depuis mars 2017 sous la direction de Mme Cécile DUBARRY, ils évolueront dans les prochains mois afin d'intégrer ce nouveau domaine de régulation. D'ores et déjà, M. Olivier DELCLOS, nommé en septembre dernier adjoint au directeur Internet, Postes et Utilisateurs de l'ARCEP, suit plus particulièrement le dossier de la distribution de la presse.
A l'avenir, ce dossier devrait être suivi par trois directions :
- La direction Internet, Postes et Utilisateurs (DIU), donc, l'une des directions sectorielles de l'Autorité placée sous la responsabilité de M. Loïc DUFLOT, qui est en charge de la régulation des marchés des services de communications électroniques et postaux. A l'avenir, elle sera également chargée du pilotage et de la mise en œuvre de la future mission de régulation de la distribution groupée de la presse, en particulier sous l'angle réglementaire.
Aux côtés des unités "opérateurs et obligations légales", "marchés entreprises", "Internet ouvert", "régulation par la donnée" et "industries et marchés postaux", une nouvelle unité "Distribution de la presse" (UDP) est en création et des collaborateurs sont d'ailleurs en cours de recrutement. Celle-ci sera en charge du pilotage des travaux inter-directions relatifs à la distribution de la presse. Elle sera notamment en charge de l’élaboration et du maintien dans le temps du schéma d’orientation territoriale de la distribution de la presse et de la mise en œuvre du processus d’agrément des distributeurs de presse (rédaction et maintien dans le temps du cahier des charges, délivrance et suivi des agréments, etc.). Elle contribuera à l’ensemble des activités relatives à la distribution de la presse : règlements de différends, aspects tarifaires, prise en compte des coûts spécifiques à la distribution des quotidiens, définition des conditions d’implantation des points de vente et fixation de la rémunération des diffuseurs, analyse des conditions techniques, tarifaires et contractuelles des prestations des distributeurs de presse, etc., précise l'ARCEP.
L'unité comptera, en vision cible, 1 chef d’unité et 4 chargés de mission.
- La direction de l'économie, des marchés et du numérique (DEN), direction transverse placée sous la responsabilité de M. Stéphane LHERMITTE, suit tous les aspects économiques, statistiques, tarifaires et de modélisation de l'action de l'ARCEP. Elle assure également une mission propre de veille sur les questions relatives au numérique, au secteur postal et à l'audiovisuel. Au nombre de ses principales missions, que détaille l'Autorité, on relèvera le suivi des marchés et de l'activité des secteurs ; le support aux autres directions en matière d’analyse économique, concurrentielle et financière ; l’expertise en matière d’analyse de coûts et de tarification dans les secteurs télécoms, postaux, audiovisuels et de distribution de la presse.
Des collaborateurs sont également en cours de recrutement. Ainsi, aux côtés des unités "Observatoire des marchés", " analyse économique et intelligence numérique" et " modèles et tarifs" de la DEN, l’unité "Coûts et tarifs poste, presse et audiovisuel", qui s’occupe déjà des aspects quantitatifs de la régulation du marché postal et de la diffusion hertzienne terrestre de programmes télévisuels en mode numérique (TNT), sera chargée à l'avenir de la future mission de régulation de la distribution de la presse.
Composée en vision cible d’un chef d’unité et de quatre chargés de mission, celle-ci sera chargée de la mise en œuvre des aspects quantitatifs et tarifaires de la nouvelle mission (avis sur les tarifs proposés et mise en place d’encadrements tarifaires, établissement de référentiels comptables pertinents, suivi financier du secteur, etc.), en plus de ses compétences en matière d'audiovisuel (TNT), de service universel postal, de comptabilité réglementaire de La Poste, d'analyses économiques et concurrentielle dans ces domaines, etc.
- La direction des affaires juridiques placée sous la direction de Mme Elisabeth Suel
Par Marianne Bérard-Quelin et Luce Burnod - La Correspondance de la Presse