Mesdames, Messieurs,
Je suis très honoré de représenter l’ARCEP au congrès de l’Unisda et ainsi de témoigner de tout l’intérêt que l’Autorité porte à l’amélioration de l’accessibilité des services et équipements téléphoniques pour les sourds et malentendants. Le Président de l’ARCEP, Jean-Claude MALLET, qui vient d’être nommé et est retenu ce matin par des engagements inconciliables avec sa participation personnelle à votre congrès, m’a demandé de vous exprimer ses regrets et de vous faire part de l’attention particulière qu’il souhaite porter au cours de son mandat à l’accessibilité des personnes souffrant de handicaps aux communications électroniques.
En tant que régulateur des télécommunications, l’ARCEP s’efforce depuis sa création de veiller à un développement harmonieux et durable du secteur, ce que l’on a trop souvent tendance à réduire à des questions de coûts et de prix. Il faudrait plutôt préciser qu’un secteur des télécoms performant est un secteur des télécoms socialement utile, dans toutes les dimensions que cette expression recouvre…
Indéniablement, permettre à tous d’accéder à de meilleures conditions de vie grâce aux technologies de l’information, c’est là un aspect primordial de l’utilité sociale de ce secteur, consacré notamment par la notion de " service universel ". L’ARCEP intervient pour favoriser l’accès de tous aux services de communications de base, en précisant les obligations des acteurs qui ont la charge de fournir le service universel, mais aussi en créant un cadre permettant l’essor d’une industrie innovante et compétitive, multipliant les offres à destination de tous les usagers. Nous recherchons donc un équilibre délicat, qui repose pour la plus grande partie sur des dynamiques initiées par le secteur privé, qu’il soit commercial mais aussi associatif. Aujourd’hui, nous nous félicitons du lancement de l’expérience du centre d'appel d'urgence de Grenoble, étape significative dans le déploiement des outils qui, demain, permettront aux usagers sourds et malentendants de bénéficier de tous les services relevant du service universel avec autant de facilité que les entendants. Tous les acteurs ici présents sont cependant bien placés pour savoir que de nombreux besoins demeurent insatisfaits et que les efforts qui restent à fournir sont assurément plus importants encore que ceux qui ont déjà été fournis.
Certes, les objectifs ont été consacrés solennellement dans la loi du 11/2/05 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, qui prévoit l’accessibilité des relations des personnes déficientes auditives avec les services publics, l’accessibilité des appels d’urgence, le dispositif de communication adapté à savoir l’interprétation en Langue des Signes Françaises, le codage en langue parlé complété ou encore la transcription écrite. De même, dans la continuité de la loi de 2005, un décret a été pris pour mettre en œuvre les dispositions législatives portant sur la réception et l’orientation, via un centre national de relais, des appels d’urgence des personnes déficientes auditives. Toutes ces avancées textuelles ne sauraient pourtant suffire si elles ne sont suivies d’effets. Vous lanciez vous-même à l’UNISDA un cri d’alarme le 15/12 dernier en publiant une lettre ouverte aux ministres de l’intérieur et de la santé pour vous inquiéter de l’absence de mise en place et la montée en charge du dispositif permettant l’accessibilité des appels d’urgence.
Nous comprenons le sens de votre démarche pour que l’accessibilité téléphonique pour les personnes sourdes ou malentendantes, telle qu’elle est prévue par la loi pour les appels d’urgence comme pour les relations avec les services publics, soit effective. Et sans doute, au-delà, est-il légitime de s’interroger sur les perspectives de développement de centres relais téléphoniques généralistes, conformément aux orientations annoncées par le Président de la République qui, lors de la 1ère conférence nationale du handicap le 10/6 dernier, prônait la création de centres relais permettant d’assurer en simultané la traduction des conversations.
Pour ce qui concerne l’aide et le soutien que l’ARCEP souhaitent apporter à ces démarches, je me dois de vous indiquer avec honnêteté que les moyens dont dispose l’ARCEP pour contribuer à faire progresser la cause de l’accessibilité téléphonique sont fortement contraints par un cadre juridique strictement défini, par la tension qui existe entre les divers objectifs des acteurs du secteur des communications électroniques et plus simplement par nos ressources limitées. C’est ce dont je voudrais vous parler dans un 1er temps. Mais je crois aussi que le secteur des communications électroniques connaît actuellement de profonds changements qui peuvent avoir un impact positif sur l’accessibilité de la téléphonie aux sourds et malentendants, ce dont je souhaiterais vous entretenir dans un 2nd temps.
Je commencerai par une remarque qui, je le reconnais, s’inscrit dans un constat de réalité quelque peu austère: bien que les progrès sur le plan technique soient manifestes, avec notamment l’émergence de systèmes crédibles et fiables de centres relais, la question du financement demeure un obstacle substantiel à la généralisation de ces systèmes à une échelle pleinement satisfaisante pour les usagers que vous représentez.
Je suis tout à fait conscient que les enjeux sont tels que l’on n’interviendra jamais assez rapidement sur ce sujet. Au regard des initiatives de certains de nos voisins européens, la France peut même paraître par trop frileuse. Néanmoins, il y aurait bel et bien un risque à brûler des étapes, pour constituer à la hâte une solution technique définie trop restrictivement, sur des volumes et usages prévus de façon trop approximative pour que la qualité de service ne s’en ressente pas, selon des bases financières dont la pérennité ne serait pas assurée, et sans que le tout ne soit assorti d’incitations à la performance et à l’investissement à long terme. Nous souhaitons donc que les solutions qui seront choisies et soutenues par les pouvoirs publics intègrent toutes ces préoccupations, pour pouvoir proposer un service aussi performant que possible pour un coût aussi réduit que possible, de telle sorte que ce service se développe sur l’ensemble du territoire et de manière durable. De plus, il faut le dire, la période actuelle est peu propice à des subventions directes pour un service à grande échelle.
Mon message serait donc plutôt d’inviter les différents acteurs impliqués dans ce dossier à une logique d’échanges et de concertations, car ce qui manque le plus c’est l’information. Sans données chiffrées, pas de connaissance des besoins, pas de dimensionnement de la demande et de l’offre et pas de calcul de coût, donc pas de facilité à trouver des financements.
L’étendue de ce qui peut être financé par un dispositif de solidarité pose d’ailleurs elle aussi son lot de problèmes. En l’état actuel, la législation française et européenne en matière de communications électroniques est assez stricte, puisque le service universel porte sur un ensemble de services qui n’incluent ni les communications sur mobile, ni les communications à haut débit.
Or, le principe des centres relais repose sur l’utilisation de la vidéo, application qui n’est envisageable qu’en haut débit. Autrement dit, il est pour l’instant difficilement envisageable de mettre en place un service de centre relais qui soit accessible depuis l’ensemble du territoire, quand bien même une solution serait trouvée pour financer l’existence du centre relais lui-même. De même, la législation n’oblige en rien les opérateurs de services de communications électroniques à fournir les services de haute qualité qu’attendent les sourds et malentendants. Le choix de France Télécom de mettre fin en 2006 aux activités de son " centre de truchement " était donc prévisible, puisque l’opérateur n’était contraint par aucun texte au maintien d’un tel service et qu’une logique purement financière militait pour qu’il soit abandonné. Malheureusement, les bénéfices que tirent les opérateurs de ces activités en termes d’image de marque ne suffisent pas à contrebalancer un coût qu’ils considèrent comme trop important. Les pouvoirs dont dispose l’ARCEP ne lui permettent pas d’imposer aux opérateurs des obligations dépassant l’organisation d’une accessibilité a minima. Les textes actuels n’apportent donc pas une réponse suffisamment forte à la question de l’accessibilité aux sourds et malentendants. Tout au plus permettraient-ils d’envisager une action pour faciliter l’acquisition des terminaux facilitant l’accès aux services des centres de relais.
Néanmoins, les possibilités de faire progresser l’accessibilité des communications électroniques dépassent le domaine du service universel dans son périmètre actuel. Il y a même des raisons d’espérer une accélération des progrès, d’une part parce que le financement hors service universel est une piste à explorer et d’autre part parce que les technologies à venir offrent des perspectives encourageantes qu’il faudra exploiter au mieux.
J’évoque la question du financement en dehors du service universel, car rien ne permet d’exclure que le marché produise de lui-même des offres abordables de services à destination des sourds et malentendants, comme il fournit déjà d’autres services visant à répondre à des demandes spécifiques comme le contrôle parental des contenus d’internet, qui est généralement offert gratuitement. Les opérateurs commerciaux n’offriront peut-être pas spontanément des services de centre relais dans un premier temps, mais le développement graduel d’une offre à partir de services à base de texte, qui s’étendra ensuite à des services plus riches. En se montrant audacieux sur les modalités de financement, les acteurs associatifs, les pouvoirs publics et les opérateurs peuvent probablement aboutir à des résultats substantiels en proposant des solutions incorporant tous les aspects techniques, sociaux ou organisationnels pouvant alléger la contrainte financière. L’ARCEP encouragera toutes les initiatives en ce sens.
De plus, l’ARCEP estime que de telles solutions seront grandement facilitées par les technologies en cours de développement, celles qui seront amenées à se généraliser sur le marché d’ici cinq ou dix ans : communications à haut débit sur le mobile, vidéo, outils logiciels divers… Il n’est nullement exclu que ces offres deviennent bientôt des normes de fait. Une réflexion est actuellement en cours pour éventuellement étendre, si les circonstances le permettent, les tarifs sociaux au-delà de la seule téléphonie fixe. Ceci permettrait de faciliter l’accès du plus grand nombre au haut débit et aux applications les plus avancées techniquement. Plus généralement, l’Autorité assure un suivi continu de toutes les innovations techniques et commerciales, qui peuvent constituer des éléments importants du dialogue avec les opérateurs sur la question de l’accessibilité. C’est en partie pour cela qu’il est important pour l’Autorité que les choix économiques, dans ce domaine comme dans d’autres, soient aussi neutres, technologiquement, que possible. Nous souhaitons qu’à long terme les meilleures solutions techniques puissent toujours être employées pour promouvoir l’accessibilité, sans être par trop contraints par un cadre réglementaire qui aurait été figé pour permettre le déploiement d’une seule technologie. Cette approche doit permettre de satisfaire dans les meilleures conditions les besoins des usagers sourds et malentendants, besoins qui méritent d’être mieux connus. Pour l’heure, il nous paraît indispensable de mener les études pour évaluer et déterminer ces besoins. Elles font, pour l’instant, cruellement défaut, malgré les nombreuses parties qui pourraient y trouver intérêt. Nous avons bon espoir de pouvoir réaliser de tels travaux en coopération avec le ministère du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité, avec lesquels les services de l’ARCEP sont en contact à cette fin. A moyen et long termes, cette démarche facilitera considérablement notre coopération avec les opérateurs, ainsi que la concertation entre les différents acteurs.
Sachez que notre disponibilité et notre volonté de contribuer activement et efficacement aux progrès de l’accessibilité des déficients auditifs au service téléphonique et plus largement aux technologies de l’information et de la communication sont totales. Nous le ferons, en collaboration bien sûr avec le délégué interministériel aux personnes handicapées, dans le cadre de nos missions, de nos compétences et de notre statut, fait d’indépendance mais aussi de service de l’intérêt général propre à une autorité administrative. Nous y apporterons notre expertise, notre connaissance du secteur des communications électroniques et des acteurs, notre souci constant des équilibres, notre attention aux questions économiques, technologiques mais aussi sociétales, notre capacité enfin à concerter et à susciter des dynamiques au service d’objectifs d’utilité collective. Car nous sommes convaincus que la participation des personnes handicapées, à travers l’accès aux systèmes usuels de communication, est un élément essentiel de leur citoyenneté et une condition majeure pour donner tout son sens à l’égalité des chances. C’est donc un enjeu de politique publique auquel l’ARCEP ne peut qu’être pleinement partie prenante.
Je vous remercie