" Ma plus grande satisfaction est d'avoir donné vie à la notion de régulation qui n'était encore qu'un concept il y a quelques années "
- Quel bilan tirez-vous des cinq années écoulées depuis l'ouverture du marché à la concurrence ?
- La concurrence est devenue réalité et l'usager est désormais un consommateur. Le marché est ouvert, il y a une pluralité d'acteurs sur le marché de la téléphonie tant fixe que mobile, comme sur celui de l'Internet et du haut débit. Le consommateur, qui est un des grands gagnants de la période, a pu noter à la fois l'apparition de services nouveaux et une très forte baisse des prix.
- Après deux ans d'une crise sans précédent, que peut-on attendre de l'année 2003 ?
- Les années récentes ont été marquées par un emballement des esprits, des mouvements industriels et financiers. Il faut aujourd'hui regarder la réalité, comprendre que l'ouverture d'un marché est d'abord une compétition: il y a des gagnants mais aussi des perdants. Pour entrer sur un marché nouveau, il faut investir techniquement et financièrement. Sans doute certains acteurs ont-ils sous-estimé ce lourd effort. Mais il y a aussi le facteur temps qui est essentiel. On a voulu aller trop vite, les anticipations ne se sont pas réalisées, certains modèles n'ont pas débouché, comme celui de l'Internet gratuit pas exemple... Mais, tout cela n'enlève rien au fait que le marché se développe. Nous sommes passés de 2,5 millions d'abonnés au téléphone mobile en 1997 à 38 millions aujourd'hui! Sans oublier le développement très rapide actuellement de l'Internet haut débit.
- La multiplication des faillites outre-atlantique et la consolidation en cours en Europe n'accréditent-elles pas la thèse du "monopole naturel" dans les télécoms, rendant la concurrence quasi-impossible ?
-La concurrence n'est pas la cause de la situation actuelle. Les difficultés que rencontre par exemple France Télécom aujourd'hui ne résultent pas de la concurrence - ses très bons résultats opérationnels le prouvent - mais sont liées à des décisions d'acquisitions. Au demeurant, la concurrence n'est pas une fin en soi. L'important est qu'elle contribue au développement économique et social des pays où elle s'exerce.
- Que peut-on faire pour relancer la dynamique du secteur ?
- La consommation globale ne fléchit pas et le potentiel d'innovation est considérable. Voilà qui justifie de retrouver la raison et de garder confiance. Il ne faut pas se focaliser uniquement sur l'offre mais soutenir aussi la demande. Donc d'abord enrichir les services offerts aux consommateurs pour les données et dans le mobile, mais sans négliger pour autant la téléphonie fixe. Voyez la différence d'évolution depuis cinq ans entre les performances des terminaux mobiles et des téléphones traditionnels ! Il faut également s'attacher à soutenir par tous les moyens la croissance du trafic ; c'est l'un des objectifs de la régulation tarifaire. Enfin, il faut retenir toutes les mesures qui favorisent l'investissement dans les réseaux et les services, ce qui peut justifier l'intervention des collectivités locales là où le marché ne se développe pas spontanément.
- L'idée d'un plan européen de relance du secteur, soutenue par Jacques Chirac, peut-elle s'imposer ?
- Le Président de la République a rappelé quelle était la vraie et légitime ambition de l'Union Européenne : contribuer au développement économique et social des Etats membres en répondant à l'attente du consommateur, tout en donnant à des industriels européens, puissants et dynamiques, la possibilité de consolider leur croissance. Dans cet esprit, le Président a voulu faire partager le réalisme qu'impose l'analyse de la crise actuelle. Il souhaite qu'au sein de l'Union Européenne les Etats membres adoptent des lignes de conduite solidaires et cohérentes. Cette intention me semble avoir été comprise et les trois mois à venir devront être mis à profit afin d'élaborer au sein de la Commission des propositions concrètes pour le prochain sommet des chefs d'Etat.
- Cependant les partenaires de l'Union Européenne ont récemment réaffirmé leur hostilité à toute forme d'aide d'Etat.
- La finalité de l'UMTS n'était pas non plus d'alimenter les caisses des Trésor Publics! S'il convient de ne pas retenir les aides d'Etat, n'oublions pas que les enchères n'ont pas été sans aider certains Etats ! En France, l'ART a acquis très vite la conviction que la méthode des enchères serait défavorable au secteur. Son résultat, c'est qu'aujourd'hui 100 milliards d'euros manquent aux opérateurs et équipementiers européens... L'essentiel est que l'Europe maintienne sa place dans la compétition mondiale. En outre, aucune autorité publique ne peut se désintéresser du potentiel des nouvelles technologies, notamment parce que les entreprises qui les portent prennent une part considérable dans la recherche et l'innovation, leviers d'avenir dont il faut assurer la pérennité. Cette préoccupation s'exprime publiquement aux Etats-Unis. Elle me semble tout aussi légitime en Europe.
-En Grande-Bretagne, on reproche à l'OFTEL les déboires de BT. Dans d'autres pays, on reproche au régulateur d'avoir ménagé son opérateur historique. Comment vous situez-vous ?
- La mission du régulateur n'est ni de ménager, ni de fragiliser l'opérateur historique. Elles est de permettre à chacun , donc aux nouveaux entrants, de prendre durablement sa place dans une concurrence équitable. Aucune décision de l'ART en six ans n'a pesé sur le cours de France Télécom, ni au moment de la fixation du premier catalogue des prix de gros (interconnexion) qui intervenait au moment même de la mise sur le marché de l'opérateur public, ni par la suite.
Quelques opérateurs alternatifs peuvent estimer que les évolutions n'ont pas été assez rapides, ni assez fermes. Mais, j'ai choisi une approche privilégiant la concertation, considérant que le temps ainsi passé était préférable à une solution mal comprise, voire à une procédure contentieuse. En revanche, j'estime que toute décision prise, après concertation, doit être immédiatement et intégralement appliquée. Or c'est là que j'observe les crispations les plus fortes. L'ART souhaite une évolution positive sur ce sujet.
- Sur deux dossiers majeurs, la boucle locale radio (BLR) et le dégroupage, les attentes ont été déçues. Pourquoi ?
- Sur la BLR, les opérateurs se sont déclarés candidat dans la phase d'euphorie maximale de l'année 2000. Ils ont dû investir au moment même où les vannes du financement se fermaient. Je le regrette naturellement. Mais je souligne que, là où elle a été déployée, cette technologie fonctionne. L'ART a attribué des licences à ceux qui étaient les meilleurs et disposaient de références dans d'autres pays. Je suis certain que les difficultés d'investissement auraient été ressenties dans les mêmes termes par tout autre candidat s'il avait été retenu.
Sur le dossier très complexe du dégroupage, la France a maintenant l'un des dispositifs, notamment tarifaire, les plus favorables en Europe. C'est vrai qu'il a fallu du temps, mais une dynamique très forte est apparue sur le marché depuis l'été. Et l'ART attend désormais des différents acteurs qu'ils s'engagent pleinement et réalisent les investissements nécessaires et souvent annoncés.
- Après six ans à la présidence de l'ART, quel est votre principale réussite ?
- Ma plus grande satisfaction est d'avoir, avec mes collègues et tous les collaborateurs de l'ART, donné vie à cette notion de régulation qui n'était encore qu'un concept il y a quelques années. En ayant ouvert cette voie, je laisse entre les mains de mon successeur et du Collège une institution, je le crois, reconnue et respectée, apte à jouer pleinement son rôle dans l'évolution du marché.
Propos recueillis par Marie-Cécile Renault