Que pensez-vous du retournement des marchés vis-à-vis des télécoms ?
Les beaux jours de l’euphorie sans limite sont derrière nous, mais de nouvelles et belles perspectives demeurent. Dès 1999, le processus européen d’attribution d’environ 60 licences UMTS a engendré un mouvement préparatoire de restructuration - la fusion Vodafone-Mannesmann en est un des plus forts exemples – et aucune valorisation n’était à l’époque trop belle ni exagérée. Mais le marché s’est retourné avec le résultat des enchères anglaises et allemandes, dés lors que les yeux se sont ouverts sur cette réalité industrielle et financière : les opérateurs devaient faire face à une charge, imprévisible quelques mois plus tôt, de prés de 950 milliards de francs, montant aujourd’hui pris en compte dans les observations des banques centrales.
Tout cela ne me surprend pas. Dés avril 1999, les premiers éléments de la consultation publique conduite par l’ART sur l’UMTS ont posé les questions qui demeurent toujours d’actualité : quels services, pour quels clients et à quel prix ? Questions cruciales pour l’établissement d’un plan d’affaires, donc d’un dossier de candidatures sur un marché nouveau et incertain.
En avril 2000, je soulignais les risques majeurs de coûts d’attribution excessifs des autorisations, soit pour la viabilité des opérateurs, soit pour les consommateurs. Je ne voulais pas alors me laisser emporter par un optimisme dangereux et largement partagé, mais aujourd’hui je ne saurais davantage tomber dans un pessimisme exagéré. Le problème ne me semble pas être un manque de capitaux sur les marchés, mais la volonté des actionnaires et des banques d’établir une plus juste appréciation des risques.
Une ouverture moins immédiate et plus progressive des nouveaux services devrait en être la conséquence, remarque qui ne me semble pas devoir concerner le seul marché français.
Regrettez-vous le choix du concours de beauté pour les licences UMTS ?
Au contraire ! Les partisans des enchères prétendaient que c’était le seul processus transparent ; or je constate aujourd’hui que dans tous les pays où il a été retenu, il y a de sérieux contentieux. Pendant ce temps, l’ART a sélectionné sur dossiers les opérateurs de boucle locale radio (BLR). Il y a eu 28 candidats et aucun contentieux. La publication des résultats a témoigné de l’objectivité de l’instruction, en l’absence de tout choix prédéterminé et sans aucune préférence quant à la nationalité de l’opérateur. Alors qu’aujourd’hui toutes les autorisations prévues en métropole sont attribuées, il n’en va pas de même au Royaume-Uni où les récentes enchères BLR ont dégagé des montants inférieurs aux redevances perçues dans notre pays, et ont laissé la majorité des régions sans opérateur.
Justement, l’examen des dossiers UMTS sera-t-il très différent de la façon dont vous avez procédé avec la boucle locale radio ?
Les investissements sont environ 10 fois plus importants pour l’UMTS que pour la BLR, et cela, sans tenir compte du coût d’acquisition des licences. Il y aura par ailleurs beaucoup moins de candidats, ce qui va nous permettre d’analyser encore plus intensément les dossiers.
La crédibilité financière des projets, et leur lien avec la situation financière des candidats, seront donc étudiés avec soin, conjointement avec le plan de déploiement et les services offerts. En tout état de cause, ce qui importe, ce n’est pas la seule puissance financière du groupement-opérateur, c’est la solidité du financement de son dossier. On apprécie la candidature, non pas sur l’entreprise, mais sur son projet.
Après la défection de plusieurs candidats, dont Deutsche Telekom, combien en attendez-vous ?
Au moins autant que les 4 licences à attribuer. Si j’observe ce qui vient de se passer chez nos voisins italiens ou suisses, le nombre de candidats actuels n’est aucunement lié à une quelconque spécificité française. Il découle de la forte concentration qui se manifeste sur le marché des mobiles, des montants financiers en jeu et du nouvel état d’esprit qui affecte l’UMTS. Lors de ma récente visite en Asie, j’ai eu l’occasion de rencontrer les dirigeants de NTT DoCoMo et d’Hutchison Whampoa. Ils ont parfaitement compris le processus retenu en France. Leur décision de candidature n’était pas encore prise. Jusqu’au 31 janvier, place à la réflexion.
S’il n’y a que 4 candidats, ne seront-ils pas tentés d’assurer un service minimum en terme d’engagements, par exemple en terme de couverture ?
Si tel devait être le cas, aucun candidat ne doit croire que c’est gagné d’avance. Ce qui compte, c’est que les dossiers retenus soient d’excellente qualité. La sélection comparative n’est pas un examen, elle demeure un concours. Chaque candidat doit donc préparer son dossier avec la volonté d’être le meilleur. Et quand on passe une telle épreuve, on est plus sûr de la réussir si on s’efforce de franchir la barre largement au-dessus.
Si, comme en Suède, un candidat ne répond pas aux critères, comme cela a été le cas avec l’opérateur historique Telia, il ne sera pas retenu. Mais, sur la couverture du territoire, je souhaite que les opérateurs aient compris les attentes de la population largement reprises par les élus et qu’ils aient l’intention d’y apporter dès maintenant la réponse la plus claire. Ces éléments figureront dans les obligations et seront naturellement rendus publics.
Le gouvernement a jugé les tarifs du dégroupage trop élevés, et a demandé à France Télécom de se rapprocher de vous sur ce point. Où en êtes-vous ?
L’offre, dite de référence, publiée par France Télécom pour le dégroupage comporte des dispositions techniques et opérationnelles, mais également des tarifs. Sur ces différentes questions, l’ART avait préalablement publié, après une longue concertation, divers documents : recommandations et règles de pertinence. Nous avons fait part à France Télécom de diverses observations justifiant des modifications de son offre, en particulier sur les tarifs en l’occurrence trop élevés. J’attends les réponses de France Télécom dans les jours qui viennent et je me donne comme objectif de résoudre cette question pour la fin du mois.
En cas de désaccord, utiliserez-vous le pouvoir de fixer les tarifs que vous confie le règlement européen ?
Nous y sommes prêts si nécessaire. L’enjeu du dégroupage, c’est le développement de l’accès rapide à Internet. Il n’est plus temps de différer cet objectif. Le facteur temps est essentiel dans la vie de la concurrence et l’Internet rapide ne saurait être le domaine réservé d’un seul opérateur. La multiplicité des offres ADSL, par exemple, sera déterminante.
France Télécom joue-t-il le jeu du dégroupage ?
Dans tous les pays d’Europe, l’opérateur historique a exprimé ses réticences face au dégroupage. La France ne fait pas exception. France Télécom a participé aux groupes de travail que l’ART a mis en place voici un an et à la préparation des tests qui se sont déroulés dans des conditions correctes. L’objectif est maintenant que l’on passe d’une phase de discussion et de préparation à une phase opérationnelle pour que les opérateurs concurrents puissent effectivement élaborer leurs projets, ce qui suppose la connaissance d’informations préliminaires et la signature d’accords particuliers. L’enjeu explique assurément la tension actuelle des débats, c’est pourquoi il est urgent de progresser et de conclure.
France Télécom vous reproche de prendre trop de temps pour rendre votre avis sur ses nouveaux tarifs.
Engager le débat par les délais n’est assurément pas le bon angle pour ouvrir la réflexion sur l’homologation. L’ART s’est toujours attachée à établir ses avis selon le calendrier prévu par les textes, encore faut-il qu’elle ait reçu toutes les informations nécessaires de la part de France Télécom. Il est vrai, d’autre part, que certains dossiers, particulièrement structurants pour le marché, nécessitent un examen plus attentif. Ainsi deux mois nous ont été nécessaires pour l’ADSL, cela me paraît légitime.
Depuis l’été 2000, tous les avis ont été rendus en moins de trois semaines, même au moment de Noël ! Et sur l’ensemble de l’année, 80% des avis ont été favorables.
Le gouvernement a estimé " souhaitable " un allégement du contrôle des tarifs de France Télécom. Quelles sont vos propositions ?
La procédure de l’homologation a été établie en 1996, elle est susceptible de s’adapter avec l’ouverture progressive et réelle du marché. Nous sommes ouverts et pragmatiques sur cette approche. Encore faut-il établir préalablement le bilan des opérations depuis quatre ans. Nous avons, depuis un an maintenant, proposé des pistes de réflexion, de simplification, tendant à distinguer les tarifs qui sont naturellement dans le champ du service universel et pour lesquels la décision est de la compétence du ministre chargé des télécommunications, et les autres tarifs pour lesquels l’Autorité serait chargée d’apprécier la concurrence de fait, donc la nécessité d’une approbation. Quelles que soient les dispositions retenues, leur caractère a priori m’apparaît nécessaire, la vitesse de formation du marché n’est pas compatible avec un marché a posteriori. En la matière, il faut prévenir.
Propos recueillis par Jamal Henni et Philippe Escande