Avant la procédure d'attribution des fréquences 5G, le régulateur des télécoms lance une nouvelle consultation pour recueillir les attentes des acteurs du marché, puis définir une stratégie. L'Arcep nous détaille les choix et orientations possibles, ainsi que la position de la France face à ses voisins européens.
Comme prévu par la feuille de route sur la 5G du gouvernement, l'Arcep vient de lancer sa consultation publique pour l’attribution de nouvelles fréquences 5G dans la bande des 1,4 GHz, 3,5 GHz et 26 GHz. Le but est de préparer la méthode d'attribution (enchères ou autres), qui sera définie l'année prochaine. L'enjeu est important puisqu'il s'agit du futur de nos réseaux mobiles, avec une commercialisation prévue à partir de 2020 par les opérateurs.
Lors d'un entretien, Sébastien Soriano (président de l'Arcep) et Pierre-Jean Benghozi (membre du collège de l'Arcep) nous détaillent les questions auxquelles le régulateur espère trouver des réponses. Ils évoquent également avec nous les objectifs de cette consultation, ainsi que la position de la France vis-à-vis de ses voisins européens
« C'est une première étape. On consulte les acteurs sur la disponibilité de la bande de fréquence, la manière d'y faire cohabiter les différentes technologies ; c'est un enjeu très important », nous déclare Sébastien Soriano. Avec deux sujets prioritaires : à qui attribuer les fréquences et pour faire quoi ?
5G : l'Arcep lance une consultation... une de plus ?
Alors que certains pays ont déjà lancé les procédures d'attribution, un point nous interpelle : encore une consultation de l'Arcep sur la 5G ? Pour rappel, Il y en a déjà eu en janvier 2017 (de nouvelles fréquences pour le très haut débit dans les territoires, pour les entreprises, la 5G et l’innovation), mai 2018 (libération de la bande 26 GHz) puis en juillet dernier (utilisation future des bandes 26 GHz et 1,5 GHz dans la perspective des réseaux 5G).
Sébastien Soriano nous explique qu'elles ont des statuts différents : « Jusqu'à présent, les consultations portaient essentiellement sur la libération des fréquences. Elles étaient assez techniques sur la manière dont on redistribue à ceux qui utilisent les fréquences actuelles. Maintenant on rentre vraiment sur la vision marché et comment on va attribuer les fréquences aux opérateurs et aux verticaux. On est dans un processus qui se cristallise ».
Comprendre le marché pour coller à ses attentes
Il reconnait néanmoins que, au niveau européen, la France affiche un (léger) retard par rapport à certains de ses voisins : entre six et douze mois vis-à-vis des Italiens, Allemands et Anglais. « Il y a un petit décalage dans le temps, ça ne me parait pas problématique » tempère Sébastien Soriano, qui préfère prendre son temps afin que « les fréquences soient distribuées de manière pertinente par rapport aux enjeux du marché ».
« Quand je vois les attributions de mes collègues, c'est un peu le saut dans le vide. C'est vrai qu'à l'Arcep on aime bien avoir une maturité, une compréhension suffisante des enjeux avant d'attribuer les fréquences. Elles vont être très structurantes » nous déclare le président de l'autorité. Pour lui, il y a « des cultures administratives un peu différentes entre les pays. La plupart de mes collègues sont des régulateurs qui font converger l'autorité du spectre et l'autorité des télécoms. Du coup ils ont une culture plus technique et moins économique ».
« Une fois le spectre déblayé, il le donne. Je caricature, mais ils ne se prennent pas trop la tête. C'est ce qu'il fait que, parfois, il y a des enchères assez élevées, car c'est le seul critère qui est retenu à la fin, avec des gouvernements qui ont parfois la main assez directement sur les attributions de fréquences, contrairement à la France où on a ce mécanisme à double clé avec une autorité complètement indépendante », une vision à plus long terme qui serait donc un avantage sur la durée.
La France est-elle en retard ? Oui et non...
Face à ce constat, il « n'y a pas matière à dire qu'on est en retard » sur la 5G pour l'Arcep qui considère que l'« on est un des rares pays à avoir une feuille de route très claire sur ce qu'on veut faire : on est trois ou quatre sur 28. On est totalement dans les bons élèves et dans les calendriers. On a un certain nombre de cas d'usage et de pilotes même si on aimerait en avoir plus ».
Ce constat, Sébastien Soriano l'avait pour rappel déjà posé il y a quelques mois, après le MWC de Barcelone : « nous n'avons qu'un dialogue technique avec les opérateurs télécoms. Ils répondent poliment à nos consultations publiques, ils font des tests techniques. C’est très utile, mais aucun patron d'opérateur français n'est venu me parler de sa vision de la 5G », nous disait-il à l'époque.
Le calendrier des fréquences 5G est donc inchangé : la procédure d'attribution devrait être bouclée avant la fin de l'année prochaine pour ensuite envisager un lancement commercial en 2020, en phase avec les déclarations récentes des opérateurs.
« Avant, ça n'a pas tellement de sens, car les terminaux arriveront dans le courant de l'année prochaine. Après, c'est vrai qu'on pourrait commencer à être en retard ». 2020 sera d'ailleurs une année charnière pour le gendarme des télécoms puisqu'elle marquera la fin du mandat de Sébastien Soriano à sa tête.
Pierre-Jean Benghozi en profite pour rappeler que la France serait largement en avance sur un point : l'attribution des fréquences dans la bande des 700 MHz, qui n'étaient alors pas officiellement identifiées comme 5G. Cette même bande était par contre dans les enchères 5G très médiatisées en Italie (à cause du montant final dépassant largement les attentes), alors que « la France était quasiment le premier pays à l'attribuer ».
Tous les acteurs invités à répondre sur leurs besoins
Le but de cette nouvelle consultation est non seulement d'obtenir des réponses des grands opérateurs, mais aussi d'autres acteurs : équipementiers, associations d'élus pour les questions de couverture ainsi que toutes les sociétés exploitant d'une manière ou d'une autre les télécoms, énumère Sébastien Soriano.
« On leur donne six semaines et ensuite on fera notre miel de tout ça. Le premier semestre 2019 sera le moment de cristallisation dans lequel on devra, dans un dialogue avec le gouvernement, tracer les grandes lignes de la procédure qui sera lancée autour de l'été ».
La bande des 3,5 GHz et les obligations de couverture
L'un des principaux volets de cette consultation concerne d'éventuelles obligations de couverture de la population. Un enjeu très sensible, mais qui l'était tout autant avec les technologies précédentes.
Sur les 3,5 GHz, les opérateurs devraient pouvoir souffler : « Nous pensons que les fréquences 3,5 GHz ne sont pas les plus adaptées pour envisager une couverture large des zones peuplées. 3,5 GHz est une bande de fréquences très haute et selon les simulations que nous avons il parait très difficile d'envisager une couverture du territoire supérieur à 90 % de la population si on partait du réseau télécom tel qu'il est aujourd'hui ».
Pour rappel, Bouygues Telecom nous expliquait récemment qu'il fallait s'attendre à une couverture 5G en 3,5 GHz à peu près équivalente à celle obtenue avec des antennes 4G sur les 1 800 MHz. Un résultat notamment possible grâce au beamforming (ou focalisation) et au MIMO (Multiple-Input Multiple-Output) massif de la 5G.
Miser sur l'accord « new deal » pour le moment...
Pour dépasser les 90 % de la population en 3,5 GHz, il faudrait déployer beaucoup de pylônes supplémentaires. C'est pourquoi elle n'apparaît pas comme la plus adaptée pour l'Arcep.
Son président ajoute que l'accord new deal signé avec les opérateurs « va apporter une densification du réseau dans les prochaines années, au-delà de 2020 qui va permettre une extension du territoire sur les services types 4G/4G+ [...] On est assez confiant : le new deal va apporter un service de bonne qualité sur un bassin vraiment très large de la population, en tout cas pendant un certain temps ».
En termes d'obligation de couverture, la 4G impose déjà aux opérateurs des quotas à respecter, aussi bien sur les 2,6 GHz que les 700/800 MHz. L'Arcep ne peut évidemment pas modifier a posteriori ces éléments prévus lors des enchères, mais affirme être « conscient que les opérateurs ont ce patrimoine de fréquences qui, s'ils le souhaitent, leur permet d'aller au-delà des 90 % de population ». Un petit rappel, en forme de mise en garde.
... faute d'avoir de nouvelles fréquences basses
Pour Sébastien Soriano, « si on veut aller vers une politique publique forte de couverture large en 5G (obligatoire et encadrée), de nouvelles fréquences basses sont à considérer ». Et les pistes ne sont pas spécialement nombreuses.
En dessous du GHz, les bandes des 700, 800 et 900 MHz sont déjà attribuées aux opérateurs, il faudra donc descendre encore plus bas... et se heurter à la TNT. La télévision numérique terrestre est déjà en cours de réaménagement, justement pour libérer de la place aux opérateurs sur les 700 MHz.
Un sujet qui sera mis sur la table, sans doute dans un second temps : « il nous semble prématuré de nous poser la question de la méthode pour généraliser la 5G sur les zones de population », nous précise le président de l'Arcep.
Une situation différente avec les voitures et usines connectées
Comme nous l'avons déjà expliqué, la 5G ne vise pas que le marché résidentiel, les professionnels sont aussi une cible de choix. Parmi les premiers usages régulièrement mis en avant, nous retrouvons évidemment la voiture connectée et autres solutions autonomes... mais encore faut-il avoir des routes connectées, nous glisse l'Arcep.
Plusieurs questions en découlent : « quel type d'obligation porter sur les routes et les axes de transport. On a déjà fixé, notamment dans le cadre du new deal, les axes prioritaires et les réseaux ferrés [...] est-ce qu'il faut renforcer ces obligations ? Avoir un périmètre plus étendu avec d'autres types de routes ? Éventuellement, imposer des obligations sur les qualités de service ? ».
En plus des voitures, l'industrie est souvent mise en avant. Problème, ce n'est pas dans ces endroits (un port par exemple) que l'on retrouve une forte concentration de la population et donc la meilleure couverture réseau. Dans sa concertation, le gendarme des télécoms se demande donc « comment fournir un service 5G aux entreprises aux zones industrielles ou aux filières qui en ont besoin, à l'endroit où elles en ont besoin ».
Vers une obligation de répondre aux « demandes raisonnables » ?
Une piste parmi d'autres est évoquée : imposer aux opérateurs attributaires des fréquences « une obligation de faire droit à des demandes d'accès raisonnable, construire à la demande le cas échéant [...] Ce n'est pas forcément gratuit. S'il y a des couts de déploiement supplémentaires pour installer des antennes, on pourrait imaginer qu'ils soient partagés » entre l'entreprise et l'opérateur. Rappelons que des réseaux locaux industriels existent déjà, mais ils sont vieillissants.
« Aujourd'hui c'est un élément qui n'existe pas, regrette Pierre-Jean Benghozi. Quand on discute avec un certain nombre de verticaux (notamment aéroportuaires, Air France, ADP...), ils nous disent avoir eu du mal par le passé à obtenir des offres qui soient vraiment sur mesures, adaptées à leurs besoins et qu'ils préfèrent donc avoir leur propre réseau ».
Enfin, dernier point : la couverture à l'intérieur des bâtiments. Le régulateur se demande s'il faut définir des obligations pour la 5G. Cette question se pose aussi bien de manière générale que sur la bande des 3,5 GHz. D'autres fréquences comme les bandes millimétriques (26 GHz) ne seraient-elles pas mieux adaptées se demande le gendarme des télécoms. Là aussi, il attend des retours des acteurs avant de trancher.
Un cadre plus souple sur les 26 GHz
L'attribution sur la bande des 26 GHz pourrait d'ailleurs différer de celle sur les 3,5 GHz. Le régulateur évoque la possibilité d'avoir « des durées plus courtes et des allocations qui soient vraiment locales pour permettre à des verticaux de s'en saisir, mais sans geler ces fréquences pendant des décennies comme on le fait habituellement avec les opérateurs mobiles ».
Sébastien Soriano laisse ainsi entrevoir un cadre d'attribution beaucoup plus flexible, mais sans pour autant aller jusqu'à des fréquences libres car il y aura des usages critiques nécessitant que le spectre soit réservé. Surtout, une telle solution impliquerait sans doute un manque à gagner important pour le gouvernement et les finances publiques.
Pour résumer, une « attribution un peu flexible et dynamique sur une base un peu locale » est envisageable. Dans tous les cas, l'Arcep ne devrait pas mettre d'obligation de couverture sur les 26 GHz, leur portée étant de toute façon très limitée.
Dans l'ensemble, imposer des obligations de couvertures sur les fréquences de la 5G n'est pas ce qui parait le plus naturel à l'Arcep. Quant à savoir si la procédure d'attribution des trois bandes de fréquences sera commune, c'est justement une des questions de la consultation.
Va-t-on vers une guerre marketing autour du terme 5G ?
Lors du lancement de la 4G, certains acteurs (notamment AT&T et aux États-Unis) faisaient passer de la 3G+ pour de la 4G... et le scénario se répète déjà avec la 5G. En France, nous avons été épargnés, en partie grâce à la vigilance (promise) du régulateur. Qu'en sera-t-il avec la 5G ? Une question d'autant plus importante que cette technologie peut prendre diverses formes : Non Stand Alone (NSA) sur un cœur de réseau 4G, NSA sur un cœur de réseau 5G ou Stand Alone sur un cœur 5G ?
La situation ressemble au dilemme du prisonnier : « chacun aurait intérêt à tirer la couverture à lui en disant "je fais de la 5G", mais tous collectivement aurait intérêt que ça ne se passe pas pour ne pas détruire la valeur de la 5G ». Nous avons déjà vu par le passé la capacité des opérateurs à dénigrer leurs réseaux 3G pour vanter la vitesse de la 4G (lire notre analyse)... en sera-t-il de même avec la 5G ? L'avenir nous le dira.
Pour l'éviter, le régulateur voit deux possibilités. D'un côté, un « cartel » avec des arrangements sous le manteau, évidemment interdit par la loi. De l'autre, organiser le marché avec « une autorité publique qui considère que ça ressort de l'intérêt général et qui essaye d'organiser un peu les choses ». Elle pourrait par exemple édicter des principes sur comment et dans quelles conditions utiliser la dénomination 5G.
Sébastien Soriano nous affirme que l'Arcep est ouverte à ce propos et qu'il a même directement posé la question aux opérateurs lors d'une audition, sans retour de leur part. Dans tous les cas, le régulateur reste conscient que, « pendant une certaine période, la vraie 5G ne sera pas là, on va avoir de la 4G+ un peu partout en France. Peut-être que ça sera brandé 5G, mais ça ne sera pas forcément de la 5G pour de vrai ».
Propos recueillis par Sébastien Gavois
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