Prise de parole - Discours

"L'économie numérique et les nouvelles technologies" - Intervention de Paul CHAMPSAUR , Président de l'Autorité, au Club-Sénat / 26 novembre 2003

Mesdames, Messieurs les sénateurs,

Mesdames, Messieurs les élus,

Mesdames et Messieurs,

 

C’est aujourd’hui un honneur pour moi de me trouver devant les membres du Club-Sénat pour parler d’économie numérique et de nouvelles technologies. Je ne vais pas vous infliger un long discours, car je préfère l’échange et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions. Je voudrais simplement vous faire part de quelques réflexions et tout d’abord d’une préoccupation.

La préoccupation du régulateur, partagée par les acteurs du secteur, tient au retard de transposition dans notre droit national des directives européennes qui vont régir le secteur des communications électroniques. Le travail interministériel de préparation du projet de loi et un calendrier parlementaire particulièrement chargé n’ont pas permis la transcription des directives avant le 24 juillet dernier, date limite imposée par la Commission européenne. Nous nous retrouvons donc dans une situation transitoire que nous espérons la plus brève possible pour plusieurs raisons. D’abord, cette situation est facteur d’incertitude pour les acteurs qui souhaitent connaître le nouveau cadre législatif et réglementaire national et comment il va être appliqué. Elle risque de conduire à un attentisme économique préjudiciable à l’investissement et au développement des services. Par ailleurs, le nouveau cadre met l’accent sur la cohérence européenne, notamment en ce qui concerne l’analyse des marchés. Il est essentiel que ce processus de transposition soit conduit de façon quasi concomitante dans tous les pays membres, au risque que la jurisprudence européenne ne se construise sans nous.

Aujourd’hui, je suis plus optimiste qu’hier quant à la date de transposition des directives. On parle en effet du printemps et la ministre déléguée à l’Industrie vient de confirmer que le Premier ministre avait sollicité l’accord du Parlement pour transposer à titre exceptionnel ces textes par ordonnance.

 

Concernant le fond du projet de loi de transposition, nous avons déjà eu l’occasion de souligner dans nos avis du 29 avril et du 22 juillet derniers, suite à la demande de Madame la ministre déléguée à l’Industrie, qu’il nous paraissait fidèle à l’esprit des textes européens. Il ne place pas la France en contradiction avec les règles édictées au plan communautaire. Cela constitue un gage d’efficacité pour le futur dispositif législatif. Il va permettre de rapprocher les principes de la régulation sectorielle, propre au marché des télécommunications, de ceux du droit de la concurrence. Il rend possible, à terme, une évolution progressive vers moins de régulation ex ante.

 

Je voudrais maintenant vous faire part de quelques réflexions concernant le nouveau cadre juridique.

La finalité des directives est double : prendre en compte l’état de la concurrence effective sur les différents marchés et la convergence des technologies, convergence qui résulte de la numérisation de l’information. Ceci doit permettre, d’une part, de faciliter l’entrée des concurrents sur le marché en levant les obstacles découlant de la situation d’acteurs en position de dominance et, d’autre part, de placer sur un pied d’égalité les différents supports qui se font concurrence pour assurer les mêmes services.

 

Pour prendre en compte l’état de la concurrence, les régulateurs nationaux doivent analyser finement les différents marchés dits pertinents –la Commission européenne en a identifié dix-huit. Au vu des résultats, il leur appartient de désigner le ou les opérateurs puissants sur ces marchés et d’identifier les obligations spécifiques qu’il parait justifié de leur imposer. Ces obligations, ou remèdes, doivent être proportionnées aux problèmes de concurrence identifiés.

L’analyse des marchés se trouve donc au coeur du dispositif. Depuis mars dernier l’ART a mis en place un processus d’analyse des marchés et de la concurrence comprenant notamment le recueil d’informations et la consultation des différents acteurs du secteur.

Pour ce faire, des questionnaires qualitatifs et quantitatifs ont été adressés aux opérateurs, fournisseurs d’accès et associations d’utilisateurs et de consommateurs pour recueillir des données. Leur dépouillement sera suivi d’une consultation publique au cours du premier trimestre 2004 portant sur la définition des marchés pertinents, l’analyse de leur fonctionnement et l’identification des obstacles à la concurrence. L’ART désignera à cette occasion les opérateurs puissants et les obligations spécifiques qu’elle envisage de leur imposer. Le Conseil de la concurrence sera saisi pour avis. Une seconde consultation aura alors lieu sur les obligations à imposer aux acteurs en situation de dominance.

Ces analyses vont entraîner un certain nombre de changements. Je vais prendre un exemple que j’ai eu l’occasion de développer il y a quelques jours lors des Journées de l’Idate. Dans les mobiles, l’ancien cadre avait conduit à déclarer puissants deux opérateurs sur les trois en se basant sur un seul critère : une part du marché global de l’interconnexion supérieure à 25%. Dans le nouveau, l’opérateur mobile qui achemine les communications passées à partir d’autres réseaux à destination de ses propres clients se retrouve puissant, par construction, sur le marché de la terminaison d’appel sur son propre réseau. En effet, en Europe, l’appelant paie, par l’intermédiaire de son opérateur, la terminaison d’appel. Il n’a pas le choix de l’opérateur mobile par qui passer. Celui-ci, qui termine 100% des appels à destination de ses propres clients est donc en mesure de lui imposer ses tarifs. Le nouveau cadre va permettre aux régulateurs d’intervenir sur les tarifs de terminaison d’appel de tous les opérateurs mobiles. Et si besoin est, de leur imposer la mise en place d’un nouveau système de price cap pluriannuel pour orienter les prix sur les coûts, notamment des appels fixe vers mobile.

 

L’objet du nouveau cadre juridique est également de prendre en compte la convergence des technologies. A cet égard, le même régime juridique doit régir les réseaux de communications électroniques, y compris les réseaux câblés. La transposition des directives va ainsi dans le sens qu’a toujours souhaité l’ART qui considère les réseaux câblés comme une boucle locale alternative au réseau de télécommunications classique et donc, par exemple, comme un autre moyen d’accès au haut débit. Nous ne pouvons que nous réjouir de cette évolution qui va améliorer l’économie du câble en supprimant certaines contraintes qui le pénalisaient. Le premier enjeu est que le câble redevienne compétitif pour la diffusion de programmes de télévision. A partir de là, il pourra contribuer à favoriser l’essor du haut débit en France.

Le haut débit est en train de devenir un enjeu majeur pour le développement de la société de l’information. L’accès à Internet haut débit a commencé à s’installer dans les zones de population denses et il s’étend, avec un certain délai, dans les zones moins denses. Il est donc perçu comme un enjeu d’aménagement du territoire par les collectivités territoriales. L’ART considère qu’il convient à cet égard de distinguer deux marchés : le marché résidentiel, c’est-à-dire celui des particuliers, et le marché professionnel, qui intéresse les PME et les grandes entreprises.

L’accès à Internet haut débit n’est pas encore un marché de masse pour le grand public, même s’il est appelé à le devenir. Je rappelle que selon une étude que nous avons réalisée en partenariat avec le Conseil général des technologies de l’information (CGTI), un peu moins d’une personne sur deux disposait d’un ordinateur personnel à domicile en juin 2003 et que 28% des foyers étaient connectés à Internet.

L’action publique en faveur du développement d’Internet dans le grand public doit se concentrer sur les services (favoriser l’innovation), sur le développement de l’usage (notamment dans les écoles) et sur l’accès pour tous, c’est-à-dire essentiellement avec le bas débit. Le bas débit constitue d’ailleurs le réservoir assurant le développement naturel du haut débit, les clients devenus plus expérimentés migrant vers offres à des vitesses plus élevées garantissant un plus grand confort d’utilisation et l’accès à de nouveaux services.

En revanche, le haut débit est, ou est en train, de devenir une nécessité pour le marché professionnel. Offrir le haut débit dans chaque zone d’activité ou zone industrielle devient donc clairement un enjeu d’aménagement du territoire. L’intervention des collectivités territoriales, qui pourrait découler du nouvel article L 1425-1 du code général des collectivités territoriales prévu par la LEN en cours d’examen, doit donc être concentrée sur cet objectif.

Je voudrais revenir sur l’évolution du marché résidentiel qui connait des évolutions très rapides. En 2002, le nombre d’abonnés à l’ADSL a été multiplié par 2,5 passant d’environ 600 000 fin 2001 à 1,7 million de clients fin 2002. 2003 devrait se terminer avec plus de 3 millions de clients du haut débit.

Je rappelle qu’au lancement des services ADSL, seules les grandes agglomérations étaient desservies. Seul France Télécom, en tant qu’opérateur, revendait des accès, d’abord à sa propre filiale fournisseur d’accès Wanadoo, puis aux fournisseurs d’accès à Internet concurrents qui commercialisaient cette offre sous leur propre marque, ce que nous appelons dans notre jargon l’option 5. A l’été 2002, la part de marché de Wanadoo dans le haut débit était très nettement supérieure à celle qu’il détenait dans le bas débit. L’ART s’est efforcée de remédier à cette situation en favorisant une structure de marché plus concurrentielle, en particulier sur le marché de gros amont. L’objectif est que, grâce à ce marché, les opérateurs de télécommunications alternatifs puissent concurrencer l’offre de France Télécom sur le marché aval, c’est-à-dire l’option 5 que je viens de citer. Pour ce faire, l’ART a réussi à mettre en place deux modalités : d’une part le le dégroupage de la boucle locale, appelée aussi option 1, et d’autre part une autre modalité, appelée option 3, adaptée aux zones moins denses.

Aujourd’hui, nous franchissons une étape. La politique mise en oeuvre par l’ART a commencé à porter ses fruits. A fin 2003, la part de marché de l’ADSL de Wanadoo aura notablement diminué, tombant entre 50 et 60%. Sur le marché intermédiaire du transport, France Télécom aura cédé à ses concurrents 10% du marché tandis que les opérateurs dégroupeurs, quasiment inexistants en 2002, exploiteront environ 280 000 lignes dégroupées ADSL fin 2003.

Cependant, les tarifs de gros qui lient d’une part France Télécom et les opérateurs télécoms tiers, en particulier ceux de l’option 3, et d’autre part, ceux liant France Télécom et les fournisseurs d’accès à Internet, l’option 5, n’ont pas évolué depuis l’été 2002. Or, entre cette date et la fin 2003, le nombre de clients a été multiplié par trois et le trafic par quatre. Ceci s’est traduit par des baisses de coûts très importantes : le coût du Mbit transporté a beaucoup diminué grâce à une meilleure utilisation des infrastructures permise par la croissance du trafic et en dix-huit mois le prix des équipements a beaucoup baissé, par exemple celui des DSLAM a été divisé par trois. Il est donc naturel, après une période de stabilité tarifaire qui a permis le décollage du dégroupage et l’amorçage d’une concurrence réelle, que la question des niveaux et des structures tarifaires des différentes options se pose. L’ART, en concertation avec tous les acteurs, est actuellement en train de l’examiner.

 

Je vous remercie de l’attention que vous avez portée à ces propos qui avaient essentiellement pour objectif d’introduire la discussion.