Prise de parole - Discours

Legg Mason - Precursor Group - Investment Precursors in Telecom, Internet and Electronic Commerce - March 9 2000 - Intervention de Monsieur Jean-Michel Hubert, Président de l' Autorité de régulation des télécommunications (France)

Mesdames et Messieurs

Je vous remercie de votre accueil. Je suis honoré d'intervenir au sein de d'une assemblée regroupant autant de compétences. C'est largement en tant que représentant du continent européen que je prendrai aujourd'hui la parole en vous présentant les évolutions d'un marché, assurément très différent du marché américain, qui peut paraître lointain mais qui n'a sans doute jamais été aussi proche de vous qu'aujourd'hui, à l'heure de la Net-économie.

Je voudrais souligner le dynamisme et l'importance de ce marché européen et en son sein du marché français.

1. La France : un marché ouvert qui participe a la dynamique européenne

Le marché des services de télécommunications

L'Union européenne est, avec les Etats-Unis, l'un des deux premiers marchés mondiaux. Il représentait 192 milliards de dollars en 1998, alors que les Etats-Unis représentent un marché de 247 milliards de dollars.

La concurrence y devient très vive : la Commission européenne a recensé 557 opérateurs autorisés sur le marché des communications longue distance au milieu de l'année 1999, au sein des 15 pays membres de l'Union européenne. Ce n'est plus une situation de monopole, ni même d'oligopole ; il s'agit bien d'une concurrence effective.

Ce marché accueille en effet de nombreux acteurs internationaux et notamment américains. Par exemple des opérateurs de réseaux paneuropéens comme AT&T, MCI-World Com, Level 3, Global Crossing, GTS, etc, qui ont obtenu une autorisation en France.

Les opérateurs européens sont naturellement très dynamiques. On y trouve tous les opérateurs historiques, dont bien sûr France Télécom, qui conduit sa transformation avec une réelle efficacité, comme en témoignent ses récents résultats et sa présence forte sur le marché européen des mobiles. On y trouve également les nouveaux entrants, qui participent à la formation des alliances, comme le montre le rapprochement entre Vivendi et Vodafone pour créer un portail qui pourrait représenter 80 millions de clients en Europe, et ainsi se préparer à l’arrivée d’Internet sur les mobiles.

L'Europe a ainsi totalement ouvert son marché. De nombreux opérateurs venus du continent nord-américain y sont présents. Cette situation ne trouvera son véritable équilibre que lorsque, réciproquement, des opérateurs européens se seront à leur tour implantés dans des conditions durables sur le marché nord-américain.

Le marché européen bénéficie enfin d'une croissance et d'un potentiel de développement très importants, C’est notamment sous l'effet de l'ouverture à la concurrence qu’il a connu en 1998 une croissance de 5,6%. Elle devrait être plus importante en 1999. Ceci témoigne assurément de l’importance du 1er janvier 1998, date de l'ouverture complète du marché européen, dans l’histoire des télécommunications européennes :

Je vous invite à mesurer l'importance du parcours accompli en deux ans, et tout particulièrement, à l'intérieur du marché européen, pour le marché français qui s'ouvre à une large concurrence et qui connaît une forte croissance.

     

  • A la fin de l’année 1999, 91 opérateurs titulaires d'une licence étaient présents sur les marchés des communications fixes et mobiles. Les deux tiers d'entre eux ont des liens plus ou moins étroits avec l'économie américaine.
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  • Le marché français des services de télécommunications a progressé de 10,5% en valeur en 1999.

Les mobiles et Internet sont les deux principales sources de croissance des marchés européen et français.

Le marché des mobiles

Le marché européen des services mobiles connaît depuis cinq ans un développement spectaculaire qui ne se dément pas et dont personne n'avait prévu l'ampleur. Le taux de pénétration moyen du mobile en Europe s'élevait à 44% au début de cette année. On peut estimer que l'Europe compte aujourd'hui plus de 150 millions de téléphones mobiles, à comparer aux quelque 80 millions que comptent les Etats-Unis.

D'après les données publiées par la Commission européenne, le marché des mobiles représente 22% du marché européen des services de télécommunications en 1999.

Ce succès ne doit rien aux différences entre les économies européennes; il est du en grande partie aux conditions dans lesquelles l'Europe a introduit la deuxième génération, avec une norme unique - le GSM - sur l'ensemble du territoire européen. Loin d’avoir freiné l’innovation technologique, cette unité l’a au contraire encouragée. Une situation qui permet aujourd'hui au marché européen d'aborder la troisième génération avec confiance en considérant cette avance technique comme un facteur supplémentaire d'accélération de ce dynamisme. Les acteurs et les investisseurs internationaux ne s'y trompent pas et il suffit de lire la presse quotidienne pour s'apercevoir de l'enjeu que constitue le marché européen des mobiles aujourd'hui, alors qu'au cours des 12 prochains mois les pays européen vont attribuer environ 60 licences pour la 3ème génération.

En France, le marché des mobiles a atteint 22 millions de clients fin janvier 2000. En cinq ans, le parc de clients est passé de 1,5 à 20 millions, ce qui représente en moyenne un quasi-doublement chaque année. Cette croissance va se poursuivre : sur une base d'un million de clients supplémentaires par mois, on peut estimer qu'à la fin de l'année, plus de 35 millions de Français possèderont un mobile, soit autant que d'abonnés au téléphone fixe.

L'accès à Internet

Internet est également l’un des moteurs essentiels du développement du marché européen. Ainsi, par exemple, le trafic d’accès à Internet devrait dépasser, au cours de l’année 2000, 15% du trafic téléphonique total de France Télécom et atteindre 50% du trafic local d'ici 3 ans. Les Etats-Unis ont eu une part déterminante dans la naissance et l’expansion prodigieuse de ce nouveau moyen de communication. L'Europe est partie en retard par rapport aux Etats-Unis, ce qui s'explique notamment par la diversité des langues sur son territoire, mais elle bénéficie de ce fait d'un potentiel de croissance très important sur les différents marchés : les infrastructures longue distance, l'accès, les services et les contenus.

L’économie d'Internet présente par ailleurs des différences importantes en Europe et aux Etats-Unis. Le marché européen de l'accès au réseau, et notamment celui des communications d'accès à Internet, concentre l'essentiel de la valeur créée au sein de la chaîne de valeur Internet. Aux Etats-Unis, au contraire, c'est dans le secteur des contenus qu'elle se concentre. Les démarches sont donc différentes mais la priorité reviendra en dernier ressort à la diversité des services. Ainsi, la concurrence ne doit pas s'exercer uniquement sur les réseaux mais également sur les services, ce qui est une préoccupation constante pour le régulateur français. A mesure du développement de l'Internet, il est probable - et souhaitable- qu'on assiste à un rééquilibrage entre les différents continents pour la création de contenus.

Les tarifs

Les tarifs d'interconnexion 2000, récemment approuvés, sont en baisse de 11,2%, après avoir baissé de 14% en 1999 ; ils placent la France dans les toutes premières places sur le marché européen, devant l'Allemagne, mais naturellement derrière le Royaume-Uni, qui a ouvert son marché il y a 14 ans ; leur structure est favorable à Internet, puisqu'ils induisent une baisse de 19% des tarifs d'interconnexion pour les communications d'accès à Internet.

Le prix des communications d'accès à Internet ne constitue plus aujourd'hui une difficulté dans notre pays. Les décisions prises par l'ART en 1999 les situent désormais parmi les plus bas d'Europe.

Enfin on peut observer une baisse continue des tarifs de détail du téléphone depuis trois ans : A titre d'illustration, le tarif moyen des communications nationales de France Télécom pour les ménages a baissé de plus de 26% depuis janvier 1999, mais la baisse est beaucoup plus élevée pour les nouveaux entrants, puisqu'elle atteint parfois 50%.

Le service universel

Je mentionne également le service universel, qui tient une place particulière dans nos deux pays. La question de l'inclusion de certains services d'accès à Internet ou de la téléphonie mobile dans le champ du service universel fait aujourd'hui en France l'objet d'un débat, dont je souligne l'importance au regard des enjeux de la société de l'information.

2. Les priorités

Au delà des chiffres, je veux souligner que le marché français est désormais tout à fait ouvert dans les faits ; il doit également l'être dans les esprits, des deux côtés de l'atlantique. Je ne voudrais laisser subsister aucun doute sur cette question. Avec 90 nouveaux entrants, dont la moitié sont des opérateurs américains, je voudrais vous dire amicalement mais clairement que je ne peux pas partager l'opinion de ceux qui parlent de barrières à l'entrée substantielles sur le marché français.

Nos principales priorité pour l'an 2000 sont les suivantes :

La boucle locale radio : Avec l'introduction de la boucle locale radio d'ici l'été 2000, une nouvelle voie s'ouvre pour la fourniture aux entreprises et aux particuliers de services à haut débit. L'accès à Internet y figure naturellement en première place. C'est un choix concerté du marché français. La procédure d'attribution des licences est à présent largement engagée. Elle porte sur l'attribution de 54 licences :

     

  • Deux licences nationales dans les bandes 3,5 et 26 GHz
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  • Quarante quatre licences régionales (2 par région) dans la bande 26 GHz
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  • Huit licences dans les départements et territoires d'Outre-mer dans les bandes 3,5 et 26 GHz

Nous avons enregistré les candidatures de vingt huit sociétés. L'instruction des licences sera achevée pour l'été prochain. Cette technologie suscite un intérêt considérable parmi les opérateurs. Son arrivée marque une étape importante pour l'ouverture de la boucle locale et pour le développement d'Internet en France.

L'accès à Internet à haut débit : Le développement de l'accès à Internet à haut débit passe aujourd'hui par celui de l'ADSL. La France bénéficie sur ce marché d'une situation favorable, puisque cette technologie est déjà opérationnelle et commercialisée. Le problème qui se pose aujourd'hui à la régulation est de nature concurrentielle. Il importe en effet d'assurer la mise à disposition de cet atout technologique majeur à tous les opérateurs qui entendent s'engager sur le marché.

Plus largement, nous avons engagé voici un an et demi en lançant une consultation publique, un processus qui doit conduire, d'ici la fin de l'année 2000, au dégroupage de la paire de cuivre de France Télécom. Un accord a été clairement passé avec eux sur le programme et le calendrier. A titre de comparaison, le calendrier du Royaume-Uni conduit à envisager la fin du 1er semestre 2001.

Je mentionne également les réseaux câblés, qui représentent une voie complémentaire pour la progression des hauts débits. Des initiatives industrielles et commerciales ont été prises récemment pour la fourniture d'Internet sur le câble en France. Elles apportent une traduction concrète aux décisions et recommandations établies dès 1997 par l'Autorité.

Internet sur les mobiles

Le mariage de la mobilité et d'Internet est une autre priorité pour le marché français, à l'intérieur du marché européen. A cet égard, l'année 2000 sera marquée par la mise en place de deux processus complémentaires :

     

  • L'arrivée de nouvelles technologies de réseaux et de services qui vont permettre d'adapter la fourniture de services Internet à l'environnement GSM. Je pense plus particulièrement au GPRS et au protocole WAP, qui sont déjà opérationnels. Cette période de transition, qui devrait durer plusieurs années, verra également l'arrivée de la technologie EDGE.
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  • La définition des conditions d'introduction de la 3ème génération de mobiles. L'existence d'un calendrier commun pour l'introduction coordonnée de la troisième génération en Europe constitue sans nul doute une décision majeure : courant 2000, la quasi-totalité des pays de l'Union européenne aura défini et publié les conditions d'attribution des licences ; ainsi, le démarrage des offres commerciales pourra intervenir, comme le prévoit le calendrier, au début de l'année 2002. La plupart des pays européens, à l'exception du Royaume-Uni, de l'Allemagne et des Pays-Bas, ont fait le choix de la soumission comparative. La France attribuera pour sa part quatre licences.

Conclusion

Je voudrais conclure en insistant sur l'importance de la diversité et de la complémentarité des modèles économiques et sociaux. La diversité des langues et des langages est à cet égard une richesse, et cela vaut naturellement pour Internet plus que pour tout autre média. J'espère vous l'avoir montré, nos économies sont différentes ; leurs atouts et leurs faiblesses ne sont pas les mêmes. Elles sont complémentaires.

Pourtant, et c'est ce qui m'a frappé lors des discussions que j'ai pu avoir avec William Kennard, lors de sa récente visite à Paris, nos approches et nos objectifs sont semblables, car nous sommes souvent confrontés à des questions similaires. Nous partageons, par exemple, la même approche d'Internet : il ne s'agit pas d'ajouter des réglementations supplémentaires, mais de veiller à la mise en œuvre des règles existantes pour le développement du marché. C’est ce que demandent jour après jour les opérateurs.

Pour résumer, notre but est l'efficacité :

     

  • L'efficacité dans l'allocation des ressources
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  • L'efficacité pour une meilleure productivité
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  • L'efficacité pour promouvoir une approche dynamique de l'innovation

Nous travaillons pour permettre aux consommateurs de bénéficier de meilleurs services à un meilleur prix.
Nous travaillons pour permettre au secteur d'investir et de prospérer.

Je vous remercie de votre attention.