Mesdames et Messieurs,
C'est toujours avec un réel plaisir que je m'exprime dans cette enceinte et je tiens à remercier tout particulièrement M. Rausch pour son invitation. Depuis deux ans et demi que l'Autorité existe, les élus, locaux et nationaux, sont pour nous des interlocuteurs privilégiés. Ils le sont d'abord en vertu de la loi, qui inscrit l'action de l'Autorité dans le cadre de la politique publique définie par le Parlement et le Gouvernement ; ils le sont également par les relations que nous entretenons régulièrement avec les collectivités territoriales ; nous sommes à leur écoute pour les conseiller et les informer sur les possibilités qui s'offrent à elles dans le domaine des télécommunications, comme vous le précisera Roger Chinaud tout à l'heure. Nous avons notamment établis des contacts avec la Communauté urbaine du Grand Lyon, avec le département du Rhône dans le cadre de projets qui témoignent de l'intérêt et du dynamisme du développement convergent des économies locales et des télécommunications. Je tiens à saluer les élus de l'agglomération lyonnaise, du département du Rhône et de la région Rhône-Alpes, et à les remercier de leur accueil.
Je voudrais orienter mon propos autour de la problématique de la concurrence sur la boucle locale, qui constitue pour l'Autorité un chantier majeur et pour les collectivités territoriales un levier pour l'aménagement du territoire. Cette réflexion sur la boucle locale s'inscrit désormais pleinement dans la perspective de la société de l'information, grand enjeu national, priorité gouvernementale et ligne directrice pour notre action.
Ainsi, l'introduction d'une concurrence effective sur le segment de la boucle locale, pour permettre aux opérateurs de raccorder directement leurs abonnés, fait apparaître trois catégories d'enjeux :
- des enjeux concurrentiels ;
- des enjeux pour la modernisation de notre économie ;
- des enjeux d'aménagement du territoire.
I. DES ENJEUX CONCURRENTIELS
L'ouverture de la boucle locale est une des conditions de la mise en œuvre d'une concurrence pleine et entière, donc effective, dans le secteur des télécommunications. L'accès direct à l'abonné représente en effet, pour un opérateur, le seul moyen de maîtriser de façon complète la relation commerciale avec ses clients. L'Autorité travaille depuis deux ans à favoriser l'ensemble des solutions permettant l'arrivée de nouveaux acteurs sur ce segment de marché.
Quatre solutions peuvent être considérées :
- trois d'entre elles s'appuient sur l'exploitation ou l'établissement d'infrastructures alternatives au réseau de l'opérateur historique : la boucle locale radio, les réseaux câblés et la mise en place, par les opérateurs, de boucles locales en fibre optiques, essentiellement à destination des entreprises ;
- la dernière permettrait l'utilisation, par les nouveaux opérateurs, du réseau téléphonique commuté de France Télécom : il s'agit de ce qui se résume de manière simplifiée par le mot de " dégroupage de la boucle locale ", bien qu'il puisse prendre différentes formes.
1. La boucle locale radio
Le processus d'expérimentations que nous avons engagé sur la boucle locale radio se poursuivra jusqu'à la fin de l'année 1999. Pour permettre à l'ensemble des acteurs de procéder à ces tests, nous avons attribué 23 fréquences à 16 opérateurs différents.
Ces tests sont utiles ; ils montrent que les déploiement à court terme des systèmes point à multipoint devraient permettre :
- principalement le développement d'offres de services à haut débit à destination des PME en zones urbaines et suburbaines ;
- dans une moindre mesure le développement d'offres de services à bas débit à destination des résidentiels gros consommateurs et petits professionnels.
Les technologies de boucle locale radio semblent ainsi de nature à élargir le marché adressable par les technologies de boucle locale et permettre la fourniture de services haut débit à des cibles commerciales actuellement peu desservies par les technologies filaires existantes. A cet égard, les mesures de qualité effectuées sur plusieurs systèmes confirment la capacité des technologies radio point à multipoint à fournir un niveau de qualité répondant à des exigences de taux d'erreur et de taux de disponibilité équivalentes à celles des technologies filaires.
L'Autorité établira les conditions de mise en œuvre pérenne de la boucle locale radio. Elle les proposera au cours du dernier trimestre 1999 au ministre chargé des télécommunications, afin qu'au cours du 1er semestre 2000, les autorisations nécessaires soient délivrées et les fréquences attribuées.
2. Les réseaux câblés
Voici maintenant deux ans que l'Autorité a rendu ses premières décisions de règlement des différends relatives à l'offre d'accès à Internet sur des réseaux du plan câble.
Elle a rendu, il y a un an, des décisions similaires concernant l'offre de services de télécommunications, et notamment le service téléphonique, sur ces réseaux.
Partant de ces principes clairement posés, le cheminement a été bien long. Aujourd'hui, le développement du service d'accès à Internet est réel, mais encore modeste, avec quelques dizaines de milliers d'abonnés, essentiellement à Paris.
En ces diverses circonstances, l'Autorité a régulièrement souligné la nécessité de parvenir à l'unicité des acteurs sur les réseaux du plan câble.
Cet objectif semble désormais partagé, comme en témoigne le processus de mise en vente des réseaux du plan câble engagé par France Télécom là où elle est propriétaire. Je souhaite vivement que les négociations en cours avec les opérateurs commerciaux conduisent à une solution rapide et constructive. Il en va du développement effectif des nouveaux services, de la rentabilité de ces réseaux - financés, ne l'oublions pas, par les consommateurs de notre pays - et sans nul doute, du signal qui en résulterait pour le développement de nouveaux réseaux.
Je souligne enfin que la coexistence de deux régimes juridiques distincts s'appliquant aux réseaux câblés - le droit de la communication audiovisuelle et celui des télécommunications - est source de complexité, notamment pour les collectivités locales, qui se sont vu reconnaître une compétence directe pour autoriser et exploiter des réseaux câblés de télévision mais ne peuvent exploiter des réseaux ou fournir des services de télécommunications que sous certaines conditions très restrictives. Comme le montre le débat actuel sur la “ convergence ”, une unification des régimes d'autorisation applicables aux réseaux câblés est souhaitable. Nous avons adressé aux services du Premier ministre une proposition de modification législative qui permettrait de simplifier cette situation ; elle figurera dans notre rapport d'activité pour 1998, qui sera publié dans les prochaines semaines.
3. Le dégroupage de la boucle locale
Nous avons engagé début avril une consultation publique sur le thème du dégroupage de la boucle locale. Nous avons reçu une trentaine de contributions, de la part des opérateurs, des industriels et des associations de consommateurs. Nous sommes actuellement en train d'en établir la synthèse, qui sera rendue publique au mois de septembre.
Pourquoi cette consultation ?
Elle correspondait à une demande : le débat sur le dégroupage a en effet été ouvert par de nombreux acteurs. Ce débat s'intensifie avec la progression de la concurrence, qui conduit naturellement les acteurs à rechercher un lien direct avec le client final.
Cette question va également donner lieu à des discussions dans le processus de révision des directives communautaires. Il est donc, dans cette perspective, nécessaire de disposer de l'ensemble des éléments de ce débat.
Quelle forme a pris cette consultation ?
Nous avons eu, dans sa préparation et dans la synthèse que nous sommes en train d'établir, le souci d'identifier les vraies questions. C'est ainsi que le questionnaire a été établi avec tous les acteurs intéressés, y compris France Télécom, et qu'il a permis de prendre en compte l'ensemble des options susceptibles d'être mises en œuvre. Il a été, avant son lacement, approuvé par la Commission consultative des réseaux et services de télécommunications (CCRST).
Il a en outre permis d'éclairer deux points :
- l'investissement, car ces options supposent généralement des investissements de la part de l'opérateur qui accède au réseau local de France Télécom ;
- le cadre juridique, dont l'analyse pourra dépendre de la solution retenue.
II. DES ENJEUX POUR LA MODERNISATION DE NOTRE ECONOMIE
L'établissement de la concurrence sur la boucle locale est également une des conditions du développement d'Internet en France. Les différentes solutions susceptibles de favoriser cette concurrence semblent à cet égard bien adaptées à la fourniture de services d'accès à Internet, en raison des débits élevés qu'elles peuvent offrir.
Le rapport remis cette semaine au Secrétaire d'Etat à l'industrie sur le développement technique de l'Internet souligne tout à la fois le rattrapage que notre pays doit effectuer dans ce domaine et les atouts dont nous disposons pour y parvenir rapidement. Parmi ceux-ci, il cite notamment la qualité du réseau téléphonique de France Télécom et des réseaux câblés français, ainsi que la maîtrise acquise par les industriels français dans les technologies de type ADSL.
Parmi les solutions proposées, le rapport mentionne donc le déploiement rapide de l'ADSL dans des conditions de concurrence effective. Je confirme à cet égard que France Télécom nous a soumis pour avis une offre ADSL. Je ne doute pas que le recueil de tous les éléments nécessaires à l'établissement de notre avis nous permettra de nous exprimer rapidement sur ce dossier important.
Nous avons pour objectif de favoriser le développement de l'usage d'Internet. Nous inscrivons ainsi nos décisions dans la ligne du programme d'action pour " préparer l'entrée de la France dans la société de l'inform@tion ", engagé en janvier 1998 par le Premier ministre.
Nous poursuivons cette action en fonction de deux lignes directrices principales :
Première ligne directrice : veiller à ce que l'économie générale des dispositifs d'accès à Internet mis en œuvre soit favorable aux consommateurs. C'est dans cet esprit que nous avons répondu au Gouvernement qui, à la fin de l'année 1998, a demandé à l'Autorité d'étudier avec les acteurs les solutions susceptibles d'améliorer les conditions tarifaires de l'accès à Internet. Nous avons ainsi réuni à deux reprises les acteurs d'Internet pour définir les principes qui devaient être retenus. Au cours de ce processus nous avons demandé à France Télécom d'établir une proposition concrète, qui a pu être discutée de manière ouverte par l'ensemble des participants
France Télécom a ainsi proposé un forfait de communication mensuel de 100 francs pour 20 heures.
Cette proposition étant bénéfique au consommateur, l'Autorité a rendu à son sujet, le 21 mai 1999, un avis favorable assorti de deux conditions, qui explicitent notre seconde ligne directrice : établir une concurrence effective sur le marché de l'accès à Internet.
- France Télécom doit permettre à tous les fournisseurs d'accès à Internet de bénéficier de ce forfait. Cette condition est destinée à garantir l'existence d'une concurrence durable sur le marché des fournisseurs d'accès, qui jouent un rôle moteur dans le développement d'Internet en France. Il appartient au régulateur de veiller à ce qu'ils puissent bénéficier, dans des conditions équitables et non discriminatoires, d'un accès aux réseaux de tous les opérateurs.
- En fournissant une offre d'interconnexion appropriée, France Télécom doit permettre aux autres opérateurs de fournir à leurs clients une offre d'accès équivalente au forfait qu'elle propose.
Le Gouvernement a fait sienne l'analyse de l'Autorité, puisque les ministres ont homologué la proposition de France Télécom sur la base de ce schéma. Il apparaît que ce forfait va effectivement être offert selon les conditions fixées et c'est une bonne chose.
Dans cette progression complexe vers un fonctionnement clair et sain du marché de l'Internet, deux élément méritent d'être soulignés :
- L'Autorité a souhaité, dans un texte de consultation rendu public le 31 mai, recueillir les commentaires des acteurs sur les mécanismes d'interconnexion et les plans de numérotation adaptés au développement des services d'accès à Internet avec et sans abonnement, dans des conditions de concurrence loyale et permettant le plus large choix possible aux consommateurs et aux fournisseurs d'accès.
- Nous avons adopté, cette semaine, une décision d'arbitrage importante, par laquelle nous avons fixé le tarif d'interconnexion perçu par Cégétel Entreprises pour les communications d'accès à Internet entrant sur son réseau, dans le cadre du différend qui l'opposait à France Télécom.
Je suis conscient que cette décision, qui résulte de l'analyse économique de deux acteurs particuliers, est également susceptible de constituer une référence. Nous nous sommes attachés à définir un tarif équitable, fondé sur l'analyse des coûts et des revenus de chacun.
Un mot à cet égard sur les offres dites d'" Internet gratuit ", qui sont apparues au début de l'année 1999. Dans ce cas de figure, l'utilisateur ne paie plus d'abonnement à son fournisseur d'accès mais continue à payer les communications téléphoniques à un opérateur de télécommunications (aujourd'hui France Télécom). Ces offres correspondent donc en réalité à des offres d'accès à Internet sans abonnement.
Pour rémunérer le service qu'ils proposent, les fournisseurs d'accès escomptent un financement provenant de la publicité et du commerce électronique ; ils attendent également un reversement, de la part des opérateurs de télécommunications, d'une partie des revenus générés par le trafic téléphonique de leurs clients.
Il s'agit d'une formule simple et séduisante pour le consommateur. Elle n'est toutefois pas dépourvue d'ambiguïtés ; en effet, la prestation d'un fournisseur d'accès à un consommateur a un coût, qui doit être rémunéré. Ainsi, dans la chaîne de valeur qui va de l'utilisateur à Internet proprement dit, la suppression partielle ou total de l'abonnement sera nécessairement compensée par un coût supplémentaire pour le consommateur, soit en termes de prix des communications d'accès, soit en termes de qualité.
Ainsi, dans la mesure où il existe aujourd'hui un mouvement à la baisse des communications d'accès, la marge de manoeuvre des opérateurs se réduit pour le reversement d'une partie des recettes aux fournisseurs d'accès, notamment en raison de l'exigence d'équité prévue par la loi, qui précise que les tarifs d'interconnexion " ne doivent pas conduire à imposer indûment aux opérateurs des charges excessives ".
III. DES ENJEUX D'AMENAGEMENT DU TERRITOIRE
Le développement de la concurrence sur la boucle locale présente également un intérêt majeur pour l'aménagement du territoire et le développement local.
Je souhaite ici, en présence de nombreux élus, insister plus particulièrement sur deux points :
- La fourniture du service universel des télécommunications est parfaitement compatible avec l'établissement d'une concurrence sur la boucle locale ;
- Les collectivités territoriales ont un rôle à jouer dans le l'établissement de la concurrence et dans le développement local.
1. Le service universel des télécommunications
Le service universel est un des piliers de la loi ; l'Autorité y est particulièrement attachée. Son rôle en la matière n'est pas d'intervenir dans sa définition, qui relève des autorités politiques, mais d'en évaluer le coût et d'en répartir le financement.
Le service universel, c'est un service téléphonique de qualité à un prix abordable pour permettre à tous d'y accéder. Je tiens à souligner que nous veillons à ce que son prix demeure abordable pour les consommateurs. Ainsi par exemple, nous avons largement contribué à ce que la hausse de l'abonnement de France Télécom intervenue le 1er mars s'accompagne de baisse de tarifs pour les communications longue distance, ainsi qu'une extension du tarif réduit au samedi matin.
Je précise enfin que le développement de la concurrence sur la boucle locale ne met nullement en péril la fourniture, par France Télécom, du service universel sur l'ensemble du territoire français. Des inquiétudes légitimes ont pu être exprimées à ce sujet, notamment quant à une éventuelle augmentation du prix des communications dans les zones faiblement peuplées en cas de développement d'une concurrence effective sur la boucle locale.
Outre qu'une telle évolution constituerait une rupture du principe d'égalité et serait contraire aux dispositions inscrites dans le cahier des charges de France Télécom, il faut rappeler que la loi de réglementation des télécommunications a prévu un mécanisme de financement du service universel par l'ensemble des opérateurs, qui comprend une péréquation géographique précisément pour assurer une desserte de l'ensemble des abonnés par l'opérateur public dans le cadre de sa mission de service universel. L'évaluation du coût de cette péréquation est effectuée par l'Autorité, qui exerce ainsi sa mission de contrôle sur la mise en œuvre effective du service universel.
2. Les interventions des collectivités locales
L'aménagement du territoire fait partie des objectifs inscrits dans la loi de réglementation des télécommunications. C'est dans cette mesure que les interventions des collectivités territoriales dans ce domaine se justifient.
Elles sont ainsi fondées à intervenir pour compenser un déséquilibre entre des zones très attractives et d'autres, qui le sont moins. C'est cet élément de souplesse qu'il me paraît nécessaire de leur donner : il n'a jamais été dans l'intention du régulateur d'inciter les collectivités locales à investir systématiquement ; il s'agit en revanche de leur donner la possibilité de le faire, là où cela paraît nécessaire et au moment où cela paraît souhaitable.
C'est sur ces principes que nos éléments de réflexion ont été communiqués au Gouvernement et au Parlement. Le Premier ministre a indiqué clairement les orientations nécessaires et l'Assemblée nationale a adopté le 16 juin la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire, qui reconnaît le principe de l'intervention des collectivités territoriales.
Les faits montreront si, une fois promulguée, la loi répondra à l'attente de ces collectivités. Pour sa part, l'Autorité veillera à ce qu'elle soit appliquée dans le respect des principes d'une concurrence effective et loyale, fixés par la loi de réglementation des télécommunications.
CONCLUSION
Pour conclure cette intervention, j'aimerais souligner le rôle de l'investissement et de l'innovation dans la mise en place de la concurrence. L'investissement et le développement des services constituent ainsi deux aspects complémentaires du processus d'ouverture. Dans un secteur marqué par la prépondérance de la technologie, la place de ces différents facteur de croissance de l'économie doit s'apprécier dans la durée.
Il en est ainsi de la capacité d'intervention des acteurs. Nous mesurons à cet égard la puissance financière d'acteurs anglo-saxons présents sur le marché français ; et nous sommes particulièrement attentifs à la contribution des acteurs de notre économie au développement des télécommunications.
Je rappelle enfin que la concurrence, l'investissement et l'innovation doivent bénéficier au consommateur et contribuer à l'aménagement du territoire. C'est dans cet esprit que l'Autorité est à la disposition des élus pour les informer et les conseiller.
Je vous remercie de votre attention.