Viviane Reding souhaite créer une autorité des télécoms au niveau européen. Partagez-vous ce souhait ?
Non, nous sommes en désaccord sur ce point. Il peut être légitime de créer une entité chargée de traiter des problèmes techniques du secteur sur le plan européen, comme la sécurité des réseaux ou la gestion des fréquences. Mais le projet de Viviane Reding va au-delà. La création d’un régulateur européen modifie considérablement les relations entre les Etats- membres et la Commission. L’Europe n’est pas un Etat fédéral. L’Union fonctionne selon une coopération étroite entre les Etats-membres et les institutions européennes. Mais celles-ci ne se substituent pas aux Etats. Là, cela serait le cas. Or, les marchés des télécoms ont une forte dimension nationale.
Ensuite, la Commission ne s’est pas suffisamment impliquée dans les analyses de marchés des communications électroniques depuis 2002 et n’a pas utilisé l’expertise du groupe des régulateurs européens (GRE). Elle n’a pas donné l’impulsion que l’on pouvait attendre d’elle sur les grands sujets structurants, comme le très haut débit ou les distorsions de concurrence entre fixe et mobile. Ce que Viviane Reding veut faire en créant cette agence, c’est étendre ses pouvoirs au travers d’une couche additionnelle de bureaucratie.
Mais la régulation n’est appliquée de la même façon selon les pays et cela empêche la création d’un marché unique des télécoms…
Justement, la Commission n’a jamais joué ce rôle d’harmonisation au niveau européen. Sur le seul marché transnational, les prix à l’international, elle a pris une décision contrainte et forcée. Elle a corrigé une distorsion de marché existant depuis plusieurs années, et n’est intervenu qu’après janvier 2006, date à laquelle le GRE a appelé à une action forte. En quoi la création d’une agence à Bruxelles changerait-elle la donne ? L’Union européenne a besoin d’harmonisation. Mais il faut faire travailler l’ensemble des régulateurs nationaux, sous l’égide de la Commission, chargée de donner l’impulsion sur les grands dossiers et de prendre les décisions d’harmonisation.
La Commission européenne veut pouvoir scinder les opérateurs historiques. Y êtes-vous favorable en France ?
La scission de l’opérateur, avec d’un côté le réseau et de l’autre, les services, peut être une solution dans certains pays. Néanmoins, en France, les conditions ne sont pas réunies pour scinder en deux France Télécom. Décider de séparer le réseau des services, c’est reconnaître que le réseau, c’est à dire la boucle locale qui relie les abonnés (aujourd’hui en cuivre), est un monopole naturel. C’est à l’opposé de la philosophie qui a jusqu’ici guidé l’Europe, fondée sur la concurrence par l’investissement des nouveaux entrants dans leurs infrastructures.
Pour la Commission, chaque bande de fréquence doit pouvoir être utilisée pour des services audiovisuels ou de télécoms. Qu’en pensez-vous ?
Il y a un déficit d’harmonisation européenne en matière de fréquences. Il est extraordinaire que l’Union des 27 ne soit pas capable de définir une position commune pour la conférence mondiale des radiocommunications de Genève qui se tient actuellement et qui doit définir les modalités d’utilisation des fréquences libérées par l’arrêt de la télévision analogique. Encore une fois, c’est le rôle de la Commission. Si les britanniques donnent une bande de fréquence au plus offrant – un opérateur télécom – et que les belges donnent la même à un groupe audiovisuel, il y aura un problème car un émetteur de télévision porte à 500 kilomètres et les londoniens ne pourront pas utiliser les services de leur opérateur mobile !
Au global, quel regard portez-vous sur les propositions de Viviane Reding ?
Elles sont globalement négatives. Viviane Reding n’a pas abordé les questions de la régulation du futur, notamment l’incitation au déploiement de la fibre optique. Elle embarque l’Europe dans une voie qui conduira à l’immobilisme et au conflit avec les régulateurs nationaux.