A quelques jours de sa conférence annuelle « Territoires connectés », qui réunit les collectivités territoriales et les opérateurs, Sébastien Soriano, président du gendarme des télécoms, affirme suivre de très près le respect des engagements pris par les opérateurs sur les AMEL, les AMII et le New Deal Mobile.
L'ARCEP vient de publier les chiffres du THD pour 2018. Quelle analyse en faites-vous?
La dynamique du déploiement se confirme ! Nous arrivons dans des ordres de grandeur qui répondent au défi : un million de locaux ont été rendus éligibles au 4eme trimestre, soit 3,3 millions de nouveaux locaux sur 2018. On voit notamment la montée en puissance des zones AMII qui ont déployé 620 000 locaux au dernier trimestre 2018 contre 450 000 trois mois avant. Les RIP eux passent de 207 à 250 000 locaux. C'est une belle performance, mais elle doit encore s'intensifier, car c'est dans les RIP qu'il y le plus à faire d'ici à 2022. Nous constatons une très forte mobilisation des acteurs, ce qui est positif.
Quelle est votre position concernant les appels à manifestations d'engagements locaux (AMEL) ? :
L'ARCEP joue un rôle modeste dans les AMEL dont elle n'est pas l'architecte. Ils résultent en effet d'une décision du gouvernement et des élus locaux concernés. Nous, nous nous portons garant du dispositif. Je pense cependant que l'on peut utiliser le marché pour faire de l'aménagement numérique du territoire. Mais pour cela, il faut un cadre contraignant.
Pouvez-vous rassurer les collectivités qui doutent que les opérateurs soient sanctionnés en cas de non respect de leurs engagements ?
Sur les AMEL, notre priorité numéro un est de faire en sorte que les opérateurs apportent vraiment le réseau en temps et en heure. Notre vigilance est essentielle, car, si un territoire renonce à intervenir et que la fibre n'arrive pas, cela décrédibilisera tous les intervenants et fera perdre un temps précieux. Nous mettrons donc tout en œuvre pour que ce scénario noir n'arrive jamais. On peut rassurer les collectivités sur le fait que l'Arcep sera un gardien extrêmement vigilant. L'Autorité mettra en œuvre toute une batterie d’outils de surveillance et le cas échéant de répression pour faire respecter leurs engagements aux opérateurs.
Cependant, étant moi-même président de la formation d'instruction, je ne peux assurer personnellement qu'il y aura sanction. C'est un collège spécifique de trois membres de l'Arcep qui statuera. De plus, une sanction n'amène pas la fibre. Nous n'avons pas le pouvoir magique de faire apparaître un réseau. Nous sommes dans le cadre de la régulation et pas des contrats publics. Le cas échéant, l'opérateur paiera des amendes versées au budget de l’État, mais la collectivité restera liée à lui.
Quel est votre rôle dans la validation des AMEL ?
Nous avons été saisis en février de deux premières demandes d'avis par le gouvernement pour le Lot-et-Garonne et la Côte d'or, et nous savons que d'autres vont arriver. Nous rendrons prochainement nos avis sur ces deux dossiers. Nous y analysons toutes les clauses de l’engagement pour éviter les mauvaises surprises, nous vérifions qu'il n'y a pas d'échappatoires, que les engagements sont fermes, pertinents et vérifiables. Nous nous assurons que l'entité juridique qui s'engage est la bonne, qu'il y a une solidarité financière avec la maison mère...
Analysez-vous les impacts des AMEL sur l'équilibre économique de chaque RIP ?
Non, ce n'est pas notre rôle, d'autant qu'un AMEL ne peut être déclenché que si le porteur du RIP est d'accord. Toutefois, l'Arcep est très vigilante sur la question de la péréquation. Il ne faudrait pas que dans le cadre d'AMEL, le modèle économique des opérateurs déployant le réseau soit fondé sur le fait de vendre la fibre plus cher. Nous souhaitons le plein maintien de la péréquation, car les AMEL s'inscrivent dans une logique d'aménagement du territoire. Nous ne voulons pas remettre en cause l'équilibre économique de la fibre. Toutefois, nous ne faisons qu'émettre un avis, c'est le gouvernement qui au final décide...
Comment vérifier sur le terrain que les opérateurs tiendront effectivement leurs engagements ? Quel est le rôle des collectivités ?
Nous allons intégrer les AMEL dans notre observatoire trimestriel du THD et dans nos cartes de couverture, comme nous le faisons pour les zones moyennement denses (AMII). Sur cette base, nous pourrons lancer des contrôles si nous constatons des dérives. Cependant, si les collectivités ont mis en place des pénalités contractuelles, nous préférons alors qu'elles soient en première ligne. En effet, il faut veiller à la bonne articulation entre contrôles réglementaires (nous) et contrôles contractuels (les collectivités), leur coexistence pouvant causer des ambiguïtés. Certains territoires envisagent, plutôt que des pénalités, un point de contrôle mensuel effectués par les collectivités. Dans ce cas, nous interviendrions en deuxième niveau, si le dialogue entre élus et opérateur ne suffisait plus. Alors, en tant que gendarme, nous pourrions durcir le ton.
Où en sont les déploiements dans le cadre du New deal mobile ?
Le New deal mobile se met en place. Les dispositifs précédents n'étaient pas satisfaisants parce que pas assez ambitieux, mais aussi parce qu'ils ne s'appuyaient pas sur l'intelligence des territoires. C'est en local que les arbitrages doivent se faire. Avec les opérateurs, nous avions identifié dans notre atlas 2000 zones candidates. Certains acteurs ont eu l'impression que nous leur forcions la main. Je tiens à rappeler que ce sont bien les élus locaux et l’État qui sont décisionnaires et non l'Arcep. Pour le moment nous n'avons pas eu d'alerte. Les opérateurs semblent jouer le jeu en ce qui concerne le déploiement.
Respectent-ils leurs autres obligations ?
Les informations qu'ils fournissent concernant les pannes de leurs réseaux ne sont pas assez précises et homogènes. Les opérateurs ne proposent pas encore des offres simples aux entreprises permettant de recevoir et de passer des appels à l'intérieur des bâtiments, quel que soit l’opérateur. Ce n'est pas normal ! Enfin, les opérateurs ont l'obligation de communiquer certaines projections sur la manière dont ils vont couvrir les zones. Actuellement, ces informations ne sont pas toujours fournies. Nous devrons durcir le ton si cela n’avance pas très rapidement. Le New Deal est issu d'une négociation entre le l’Etat et les opérateurs. L'accord ayant été conclu, tous les engagements doivent être totalement mis en œuvre sous peine de décrédibiliser l'ensemble.
Où en est la 5G ?
A ce jour, il existe encore des débats sur les usages de la 5G. Nous avons consulté les acteurs et dépouillons leurs contributions qui ont été nombreuses. Le gouvernement devrait donner les grandes orientations sur l'attribution des fréquences 5G au début du printemps. Nous espérons lancer une consultation sur les modalités d'attribution au deuxième trimestre pour lancer la procédure à l'automne. La question des obligations de couverture sera présente mais différemment du New deal. Il y aura redevance car il s’agit de nouvelles fréquences. Pour aider la 5G à se développer, les collectivités peuvent jouer un rôle dans le soutien de cas d'usage, dans le secteur de la smart city ou des véhicules autonomes, mais aussi dans le cadre de l'agriculture connectée...
Quelles sont les suites de la mise en demeure d'Orange concernant la qualité de service du réseau cuivre ?
Nous avons mis en branle un dispositif de contrôle. Aujourd'hui, il est encore trop tôt pour dire si Orange répond bien aux stimuli. Nous avions mis deux premiers points de contrôle en novembre et décembre 2018 pour bien marquer notre détermination. En 2019, les paliers seront plus exigeants, et, un contrôle sera effectué chaque trimestre. Vers le mois de mai, nous commencerons à avoir une première impression sur les efforts mis en œuvre par Orange et les premières mesures. Nous en rendrons compte. Nous voulons un rétablissement structurel du réseau. Mais cela pose une problématique de fond : savoir comment on gère plusieurs réseaux en parallèle, quand on sait que l'un deux, à long terme, sera abandonné.
Propos recueillis par Claire Chevrier et Romain Mazon