Prise de parole - Discours

Conférence « Territoires Connectés » 2024 : le discours d'introduction de Laure de La Raudière

Intervention de la présidente de l'Arcep, à l'Institut du Monde Arabe (26 septembre 2024)

Mesdames et Messieurs les parlementaires,

Mesdames et Messieurs les élus, les représentants des collectivités, des opérateurs,

Mesdames et Messieurs,

Je suis très heureuse de vous retrouver aujourd’hui, avec mes collègues membres du collège de l’Arcep et avec les équipes de l’Arcep ; pour notre rendez-vous « Territoires Connectés » sur l’aménagement numérique du territoire.

Apporter une connexion à Internet à Très Haut Débit partout et pour tous, de qualité est au cœur des priorités de l’Arcep. J’y ajoute « durable », c’est-à-dire prenant en compte les enjeux de préservation des ressources planétaires, de réduction de l’empreinte carbone et de résilience, afin que les générations futures puissent aussi bénéficier des innovations qu’apporte le numérique. Cet objectif d’apporter une connexion à Internet à Très haut Débit partout, pour tous, de qualité et durable est au cœur des travaux de l’Arcep, et sera au cœur de nos échanges d’aujourd’hui.

Souvenez-vous : en 2016, seulement 30% des habitations des zones rurales avaient accès au très haut débit, contre plus de 65% dans les grandes villes, et la France se situait à la 26ème place du classement européen « DESI » en matière de connectivité. Dans une autre fonction, je me souviens avoir interpellé le gouvernement d’alors en lançant « on laisse crever nos territoires ruraux ».

Nous n’en sommes plus là, fort heureusement. Grâce aux investissements des opérateurs, des collectivités et de l’Etat, grâce à vos efforts, un immense chemin a été parcouru : la connectivité mobile et fixe, à très haut débit, a fortement progressé sur tous les territoires depuis.

Depuis, le programme du New Deal a amélioré la couverture des territoires les plus ruraux, et tous les sites mobiles sont équipés de 4G, à l’exception de quelques-uns. Pour le fixe, près de 90% des locaux sont rendus raccordables à la fibre. Mon premier message est donc de vous féliciter pour ce chemin parcouru.

Mon second message est de vous dire que nous entrons maintenant dans une période déterminante pour qualifier le succès de la fibre optique, celle qui nous permettra avec le recul de dire que « oui, nous avons été collectivement à la hauteur des objectifs fixés en matière d’aménagement numérique du pays ».

Pour les Français, ce succès dépendra de trois conditions :

  • En premier, la complétude des réseaux fibre ;
  • En second, leur qualité ;
  • Enfin, la réussite du passage du raccordable au raccordé.

La complétude des réseaux : c’est dans l’intérêt des Français où qu’ils résident, dans l’intérêt de nos entreprises où qu’elles soient implantées. Il reste encore 1 local sur 10 à rendre raccordable. Et l’on constate un fort ralentissement des déploiements, confirmé par les chiffres du deuxième trimestre de 2024. Par rapport à l’année dernière, c’est en effet une baisse de 25% que nous constatons. La complétude des réseaux fibre, c’est une obligation réglementaire, c’est aussi un préalable à la fermeture du réseau cuivre. Nous serons donc intraitables sur la complétude des réseaux, sur le respect des engagements pris par chacun. C’est ainsi que nous avons mis en demeure Orange et XpFibre au printemps 2024 sur près de 9 000 points de mutualisation (PM) et plus de 600.000 locaux en zone AMII. D’autres analyses sont en cours.

En juillet 2024, nous avons publié le premier relevé géographique prévisionnel, à partir des données collectées auprès des opérateurs. Il met en lumière que le déploiement des réseaux fibre ne sera pas terminé sur certains territoires, ou dans un certain nombre de communes à la date annoncée par Orange pour la fermeture commerciale du réseau cuivre.

C’est le cas notamment dans plusieurs communes des zones très denses où j’invite les opérateurs à finir les déploiements, communes où initialement leur appétence d’investissement s’était prononcée. Il n’est pas acceptable, en effet, de voir aujourd’hui certaines grandes métropoles moins bien couvertes que la moyenne nationale. C’est aussi le cas dans certaines communes des zones AMII, où l’Arcep sera particulièrement vigilante au respect par Orange de ses nouveaux engagements pris devant le gouvernement en février 2024.

Je le redis encore une fois : pour pouvoir fermer le réseau cuivre, il faut que les réseaux fibre soient complets. Le message concerne Orange, bien sûr, mais il concerne aussi tous les opérateurs d’infrastructure sur tous les territoires. Nous serons également très attentifs à ce que chaque utilisateur dépendant du réseau cuivre – y compris les entreprises – dispose d’offres qui soient effectivement adaptées à leurs besoins.

C’est d’autant plus important que nous rentrons dans la phase opérationnelle de la fermeture du cuivre. Les 200 000 locaux du lot 1 seront fermés techniquement dans 4 mois, les 900 000 locaux du lot 2 et les 2,5 millions de locaux du lot 3 ont été arrêtés et la liste de 7 millions de locaux du lot 4 est actuellement en phase de partage et de discussions avec les collectivités.

Je veux saluer l’engagement de tous, ici, pour réussir ce projet mais je veux aussi être claire pour tout le monde : des reports de calendrier seront en l’état à prévoir pour la fermeture commerciale prévue le 31 janvier 2026. Orange a répondu à notre demande et a d’ores et déjà débuté l’information des opérateurs d’infrastructure et commerciaux pour indiquer une première liste de communes qui feront l’objet de report. Je les en remercie : donner le maximum d’informations à tous les acteurs concernés, y compris aux collectivités, est une pratique de gouvernance indispensable à la réussite de ce projet structurant pour les Français. Nous invitons Orange à poursuivre ce pilotage fin avec l’ensemble des parties prenantes, pour assurer la réussite de la bascule des clients du réseau cuivre au réseau fibre.

La deuxième condition de succès de la fibre, c’est la qualité.

Des réseaux partout, complets, oui, mais il faut des réseaux bien construits. Les plans de reprise des réseaux les plus accidentogènes, notamment ceux en cours par XpFibre ou Altitude, apportent des résultats encourageants dans les communes où les travaux ont été faits. C’est encourageant, et j’appelle à la vigilance et à la diligence de tous, des opérateurs d’infrastructure concernés bien sûr mais aussi des opérateurs commerciaux. C’est primordial pour la réussite des plans de reprise.

En revanche, le plan d’action de la filière présenté en septembre 2022, il y a deux ans, sur l’amélioration générale des processus de raccordement, qu’il s’agisse de la formation des agents d’intervention, leur labellisation, ou la mise en place des outils de contrôle (les comptes-rendus d’intervention photos ou l’application « e-intervention »), tout ceci tarde à apporter des résultats concrets et satisfaisants pour les Français. Je reçois encore de trop nombreux témoignages des galères vécues de clients, baladés entre leur opérateur commercial et l’opérateur d’infrastructure, se renvoyant la balle de la responsabilité de l’échec au raccordement.

Le statu quo n’est plus tenable. Est-ce là la promesse d’accès de référence qui a été faite aux français ? Non.

Les problèmes répétés de qualité nuisent à l’image qu’ont les Français du FTTH, de la fibre. Cela dessert in fine les investissements réalisés. L’heure n’est vraiment plus à chicailler sur la responsabilité du voisin ou sur la mise en œuvre d’un énième process. L’heure est aux résultats et à l’amélioration concrète de la qualité des interventions.

L’Arcep s’est prononcée plusieurs fois en faveur des expérimentations en mode OI, notamment celles permettant d’expérimenter ce mode dans les communes où le réseau cuivre est fermé, pour les opérations de changement d’opérateur. J’attends aujourd’hui un engagement plus volontaire des opérateurs sur ce sujet.

Parallèlement à ces enjeux très opérationnels de qualité des réseaux fibre, l’un des grands enjeux de demain est la résilience des réseaux, c’est-à-dire la capacité de nos réseaux à surmonter les aléas et les risques, qu’ils soient physiques, logiciels, organisationnels ou technologiques. Je voulais juste vous informer que l’Arcep contribue et continuera de contribuer, en apportant notre expertise, aux travaux et aux réflexions menés en la matière, avec tous : services de l’Etat, opérateurs et collectivités.

La troisième condition du succès de la fibre, c’est le passage du local rendu raccordable à la fibre au local effectivement raccordé. C’est aussi ce qui rendra acceptable socialement la fermeture du réseau cuivre. Cela recouvre schématiquement deux cas de figure :

D’abord l’absence de génie civil sur le domaine public : sur ce point, l’Arcep émis une recommandation sur ce sujet en juillet 2023 qui clarifie les responsabilités de chacun, et en premier chef, celles de l’opérateur d’infrastructure sur le domaine public. Le cadre est posé.

Ensuite, les travaux à réaliser en partie privative. Sur ce point, comme nous entrons dans la phase opérationnelle de la fermeture du réseau cuivre, comme je viens de le mentionner, et que ce projet concerne de très nombreux de foyers français, qu’il va susciter de nombreuses questions, il est l’heure maintenant d’avoir un portage politique de la fermeture du réseau cuivre, une communication d’Etat, du gouvernement. Cela donnera un cadre justifié aux démarches nécessaires des opérateurs, cela permettra aux Français d’anticiper les travaux à faire, cela rassurera sur les solutions de connectivité existante à la place du cuivre. Il me semble aussi qu’un dispositif d’accompagnement des ménages les plus modestes serait aussi bienvenu, mais je laisse ce débat au gouvernement et aux parlementaires…

Il existe aussi une autre condition de succès de la fibre, que je n’ai pas encore mentionnée, c’est celle de l’équilibre économique des réseaux.

L’Arcep est attentive à l’équilibre économique des opérateurs d’infrastructure qui opèrent les réseaux d’initiative publique. Il est indispensable que ces acteurs soient en mesure de couvrir les coûts d’exploitation des réseaux dans les zones les plus rurales. Or, aujourd’hui nous sommes conscients que les capacités des opérateurs d’infrastructure en zone d’initiative publique et des collectivités délégantes à faire évoluer leurs tarifs pour prendre en compte ces surcoûts sont très limitées.

Mais, nous avons toujours besoin de données pour objectiver la situation. L’Arcep y travaille de concert déjà avec certains grands opérateurs de RIP qui nous fournissent désormais ces données. Je les en remercie. Il faut poursuivre dans cette voie et donc je réitère mon invitation faite aux collectivités et à leurs délégataires à nous fournir ces données, avec une attention particulière sur le format de restitution des données qui permettra aux équipes de l’Arcep de travailler efficacement.

En conclusion, je voudrais compléter pour vous dire qu’au-delà des trois conditions de réussite des chantiers structurants pour la filière qui sont intimement liés (la finalisation des déploiements de la fibre et la fermeture du réseau cuivre) un autre enjeu nous rassemble aujourd’hui, sa prise de conscience étant maintenant bien acquise : celui de l’impact environnemental du numérique et de sa croissance exponentielle si rien n’est entrepris. Ce thème nous paraissant un thème majeur de partage avec les opérateurs et les collectivités, nous avons décidé d’en faire une séquence pleine et entière cet après-midi. J’aurai l’occasion d’en reparler en introduction de cette séquence à 14h15.

D’ici là je vous souhaite une excellente matinée de travail et d’échanges.

Et j’appelle Marie-Christine Servant, membre du collège de l’Arcep qui va animer la première table-ronde sur les réseaux fixes.