L'intelligence artificielle fascine tout autant qu'elle inquiète. Mais derrière chaque modèle présenté comme révolutionnaire se cache une réalité violente : une empreinte écologique insoutenable. L'IA est en passe de devenir un des plus grands défis climatiques du XXIe siècle. L'Europe doit agir pour une IA durable, et le Sommet pour l'action sur l'IA des 10 et 11 février est l'occasion idéale pour amorcer ce changement de cap.
L'IA actuelle, gouffre énergétique
Aujourd'hui, les grands modèles d'IA sont des monstres insatiables. Souvent associés aux Big Techs, ce sont de véritables camions diesel lancés à pleine vitesse. Cette analogie n'est pas exagérée : pour leur entraînement et leur utilisation quotidienne, ces modèles mobilisent d'énormes quantités d'énergie carbonée et d'eau, rivalisant avec la consommation de villes entières. Plus concrètement, on assiste aujourd'hui à un changement d'ordre de grandeur : les besoins pour l'IA se comptent désormais en quantités de centrales nucléaires à dédier au numérique, et l'Agence internationale de l'énergie anticipe un doublement de la demande en électricité pour les centres de données entre 2022 et 2026, une situation inédite.
Pire encore, les géants du numérique reculent les uns après les autres sur leurs engagements climatiques. Alors que la planète brûle, ces entreprises annoncent des modèles toujours plus puissants, déconnectés des besoins réels, et surtout, des limites écologiques. Malgré nos expertises conjointes, nous peinons à évaluer l'ampleur exacte de cet impact et tirons la sonnette d'alarme. La compétition pour l'accès à l'électricité décarbonée ne fait que commencer. Sans régulation, sans articulation avec les politiques énergétiques et climatiques, elle pourrait devenir le prochain Far West environnemental.
Changer de trajectoire
Face à ces dérives, nous devons changer radicalement de cap. Une IA durable n'est pas une option, mais une nécessité. Bonne nouvelle, les pistes existent.
Développement économique et durabilité environnementale : un duo indissociable. N'opposons plus développement économique de l'IA et préservation de l'environnement. Ces deux objectifs sont évidemment complémentaires : sans sobriété énergétique, sans réflexion sur nos usages, le développement à long terme de l'IA sera impossible. Une IA durable est la seule voie pour garantir un accès à tous, particuliers et entreprises, à cette technologie.
Faire mieux avec moins : innovation n'est pas nécessairement synonyme de gigantisme. Développons des petits modèles ciblés, écoconçus, adaptés aux usages réels, plutôt que des IA généralistes énergivores. « Small is beautiful » peut devenir un principe central. D'ailleurs, l'Europe dispose d'un écosystème dynamique de développeurs de petits modèles sobres !
Des modèles auditables, transparents et ouverts : aujourd'hui, l'IA est souvent une boîte noire. Cela doit cesser. En plus de la valorisation de jeux de données ouverts et réutilisables, exigeons l'auditabilité, notamment par le monde académique, des modèles les plus largement utilisés, selon des méthodes homogènes et consensuelles. Les grands acteurs de l'IA générative doivent également être appelés à partager davantage de données sur leur empreinte environnementale, afin de mieux connaître et maîtriser les impacts de ces technologies. Enfin, des modèles open source apportent des réponses à ces enjeux d'auditabilité et de transparence, tout en offrant de très bons niveaux de performance.
IA souveraine
Une IA de proximité, hébergée en Europe : l'Europe ne peut rester dépendante des infrastructures technologiques étrangères. Développons des centres de données locaux, alimentés en énergie décarbonée et soumis à nos normes environnementales. Soutenons les start-ups françaises et européennes : elles sont nos meilleures alliées pour imaginer une IA durable tout en étant crédibles dans la compétition internationale.
Si l'Europe n'agit pas maintenant, elle sera condamnée à subir les décisions des géants du numérique. L'IA européenne, sera responsable, utile et durable ou ne sera pas. Il est temps de faire de l'intelligence artificielle une alliée de la planète, et non une menace.
Nos trois institutions auront l'occasion de porter ces messages dans le cadre du Sommet pour l'action sur l'IA, au travers de deux événements : « Y a-t-il une IA pour sauver la planète ? », organisé par le Conseil national du numérique, et le « Forum pour une IA durable », organisé par le Ministère de la transition écologique.
Laure de La Raudière est présidente de l'Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse).
Bruno Sportisse est PDG de l'INRIA (Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique).
Sylvain Waserman est président de l'ADEME.
• Lire l'intégralité de la tribune sur le site du journal Les Echos