Thermostats connectés, capteurs de détection de fuites d’eau, analyse de données pour optimiser la consommation de ressources et la maintenance préventive dans les usines, gestion intelligente des bâtiments et de l’énergie… : le numérique, par les innovations qu’il apporte, peut indiscutablement apporter des solutions nouvelles pour la transition écologique. Et pourtant : déjà 10% de la consommation d’électricité en France, une empreinte carbone qui pourrait tripler d’ici à 2050, 70 millions d’équipements (smartphones, téléviseurs) inutilisés ni réparés ni recyclés en France… Les chiffres que nos organismes publient depuis 2020 sont sans appels : désormais bien documentés, les impacts environnementaux du numérique se révèlent de plus en plus importants. Pire encore : la forte croissance de ses impacts n’est pas compatible avec les engagements pris par la France et l’Union européenne à travers l’Accord de Paris. Aujourd’hui, le numérique, si indispensable à notre économie, si essentiel à notre quotidien, semble insoutenable.
Mieux comprendre pour mieux agir
Nous, régulateurs du numérique et agence de la Transition écologique, avons donc engagé conjointement des travaux pour comprendre ces impacts, via des collectes de données environnementales auprès des acteurs du numériques ou la réalisation d’études. Notre première action a été de restituer ces informations, afin d’inciter les acteurs du numérique à de meilleures pratiques et d’éclairer le choix des consommateurs pour orienter le marché dans une meilleure direction. Ces travaux nous ont aussi permis de mettre en lumière l’interdépendance de tous les maillons de la chaîne du numérique : terminaux (smartphones, téléviseurs…), réseaux télécoms, centres de données et tous les services numériques que nous utilisons sur les terminaux numériques.
Pourtant, ces services numériques sont souvent les grands oubliés des réflexions environnementales car ils sont « invisibles », semblant ainsi ne pas avoir d’impact.
Mieux concevoir les services numériques en Europe
En réalité, écoconcevoir les services numériques est devenu indispensable. De quoi s’agit-il ? Cela consiste d’abord à ce que les développeurs et éditeurs rendent leurs services plus efficaces, pour qu’ils consomment moins de ressources de l’équipement de l’utilisateur, des centres de données, ou de bande passante du réseau, pour un niveau de service équivalent. Mais cela consiste aussi à la remise en cause de certaines fonctionnalités introduites dans les services numériques comme l’autoplay ou le défilement infini. Ces fonctionnalités, conçues pour que nous passions toujours plus de temps en ligne, ne sont-elles pas superflues ? Ne faut-il pas aussi promouvoir l’idée d’une certaine « sobriété » en matière de numérique ?
Ecoconcevoir les services numériques contribueraient ainsi non seulement à la protection de l’environnement mais aussi à la lutte contre l’addiction aux écrans, enjeu de santé publique majeur, rappelé dans le récent rapport « Enfants et écran : à la recherche du temps perdu » remis en avril 2024 à l’Élysée.
C’est dans ce contexte que nous avons produit, en concertation avec un grand nombre de parties prenantes, le Référentiel général de l’écoconception des services numériques. Face aux grandes plateformes numériques, principaux fournisseurs des services numériques que nous utilisons, nous sommes convaincus que le bon niveau d’action est l’Europe et souhaitons inscrire notre démarche à cet échelon, dans la lignée des chantiers lancés par la précédente mandature dans nos industries.
Construire les intelligences artificielles désirables et compétitives pour les générations futures
La diffusion rapide des intelligences artificielles génératives rend d’autant plus nécessaire ce sursaut et l’intégration de l’impact environnemental découlant de ces nouveaux outils dans les bilans de nos industries. De plus en plus utilisés en Europe, ces services sont aussi particulièrement gourmands et consomment déjà une part croissante de l’électricité nécessaire au fonctionnement des datacenters… Ne les laissons pas devenir des ogres de notre électricité, aux dépends d’autres usages et du climat. Nous avons toutes les compétences en France et en Europe pour concevoir des IA performantes et sobres, qui permettront aux entreprises de concilier compétitivité et respect des objectifs de l’Accord de Paris. Ces IA frugales européennes, plus responsables et plus transparentes, bénéficieraient alors d’un avantage concurrentiel face aux Big Techs et à leur gigantisme.
Au moment de la nomination de la future Commission européenne et de l’élaboration de sa feuille de route, nous appelons l’Europe à créer un cadre pour favoriser l’écoconception des services numériques, au bénéfice de la compétitivité, de l’environnement et de grands enjeux de société.
Par Sylvain Waserman, président-directeur général de l'ADEME, Roch-Olivier Maistre, président de l'Arcom, et Laure de La Raudière, présidente de l’Arcep.